Du vin quotidien au vin choisi : Bordeaux face à la révolution des consommateurs
De boisson quotidienne à plaisir choisi, le vin a changé de rôle en France. Bordeaux, entre surproduction et prestige, doit réinventer son image pour séduire des consommateurs en quête de sens.
Le marché français a basculé en un demi-siècle. Dans les années 1960, un Français buvait en moyenne plus de 120 litres de vin ordinaire par an, contre à peine 10 litres de vins d’appellation. Le vin était alors un aliment du quotidien, quasiment au même titre que le pain… ou l’eau.
La tendance s’est inversée : aujourd’hui la consommation plafonne autour de 40 litres par habitant et par an, dont 30 à 35 litres de vins d’appellation et à peine 10 litres de vins de table. Le vin est désormais une boisson choisie, associée à un moment convivial, un repas de fête ou un apéritif entre amis.
Un basculement culturel et générationnel
Si la consommation a chuté, c’est aussi parce que le rapport au vin a changé. Autrefois perçu comme une énergie quotidienne, il est désormais considéré comme un plaisir ponctuel. Les campagnes de santé publique, la montée de la modération, mais aussi la concurrence de la bière et des spiritueux auprès des jeunes générations, ont accéléré ce mouvement.
Pour une génération de néo-consommateurs, le vin n’est plus un réflexe, mais une découverte occasionnelle. Ils veulent des bouteilles faciles à décrypter comme à boire — loin des codes parfois intimidants des amateurs chevronnés. Cette mutation bouscule de plein fouet les régions qui vivent du volume. Bordeaux en est l’exemple emblématique : 650 millions de bouteilles produites chaque année, dont une large part en entrée de gamme. Des vins pensés pour la table de tous les jours, mais désormais en décalage avec l’image prestigieuse que le grand public associe à Bordeaux. Résultat : ces cuvées peinent à trouver leur place sur le marché.
Produire moins, mais mieux
En vendant 500 millions de bouteilles par an, la région de Bordeaux reste en situation de surproduction malgré les arrachages déjà effectués. Avec des rendements moyens annuels avoisinant les 45 hectolitres par hectare, il ne « suffirait » que d’environ 80 000 hectares sur les 100 000 actuels pour équilibrer l’offre et la demande en termes de volumes. Les arrachages engagés depuis 2023 visent à rééquilibrer le marché, mais la véritable mutation repose certainement sur une autre logique : produire moins, mais mieux.
Le modèle du XXe siècle, basé sur les volumes, n’est plus adapté. Les consommateurs boivent moins, mais ils veulent de la qualité, de la diversité, et des vins qui racontent une histoire. Bordeaux doit assumer ce virage : valoriser davantage ses appellations et mettre en avant la richesse de ses terroirs sans oublier d’adapter son offre.
L’exemple du Languedoc, passé du « gros rouge » aux cuvées innovantes et haut de gamme, montre qu’une reconversion est possible. À Bordeaux, l’enjeu n’est pas la qualité – elle existe déjà – mais sa lisibilité et sa capacité à séduire un public renouvelé.
Un avenir à réinventer
Le vignoble bordelais, symbole d’une histoire et d’un savoir-faire, porte un héritage millénaire et une reconnaissance mondiale. Bordeaux est désormais pris entre deux images : celle des grands crus qui font rêver le monde, et celle des vins d’entrée de gamme qui ne trouvent plus leur public. Mais le Bordelais ne peut plus vivre uniquement sur son prestige passé. Il doit se raconter différemment, allier tradition et innovation, prestige et accessibilité.
Le défi est autant culturel qu’économique : comment parler à un consommateur qui boit moins, mais veut des vins porteurs de sens ? La réponse passera par une stratégie collective, impliquant producteurs, négociants, distributeurs et acteurs publics.
Tourisme et identité régionale : un levier décisif
Le vin reste l’un des grands moteurs touristiques et donc économiques de la Gironde : chaque année, des centaines de milliers de visiteurs sillonnent châteaux et vignobles. Pourtant, paradoxe frappant, certains restaurants bordelais n’affichent que très peu – voire aucun – vin local à leur carte. Une absence d’autant plus incompréhensible que le vignoble est l’un des premiers attraits de la région. Si toute la filière viti-vinicole bordelaise doit faire son introspection, il est déplorable de voir dans cette région certains acteurs économiques ne pas jouer le jeu ! C’est étonnant que ce qui attire en grande partie le tourisme, ne soit pas davantage respecté par une partie de l’activité touristique.
Ce manque de valorisation fragilise l’ancrage du vin dans son propre territoire. Alors que l’œnotourisme progresse, il représente une formidable opportunité de rapprocher habitants et visiteurs de la diversité bordelaise. Routes des vins, ateliers de dégustation, rencontres avec les vignerons : autant d’expériences déjà proposées qui donnent un visage humain à ce patrimoine millénaire.
La région offre en réalité déjà une large palette de vins sur toutes les gammes de prix. Les références qualitatives en vins blancs, rosés, effervescents et en vins rouges simplement gourmands existent déjà à cet instant dans la région, preuve que les viticulteurs cherchent encore et toujours à travailler pour faire vivre leur passion et le plaisir des consommateurs. Cette rubrique tentera de vous le démontrer au travers d’un parcours du vignoble bordelais et plus largement du vignoble de Nouvelle-Aquitaine sans jamais oublier l’héritage des vins qui ont façonné l’image de ce vignoble.
Alors, pour les plus Bordelais et Néo-Aquitains des lecteurs, nous ne pouvons que vous inciter lorsque vous consommez du vin à boire, certes avec modération, aussi ceux de cette riche région qui vous a permis de vous élever. À ceux qui ont fait le choix de s’installer entre océan et montagne, rappelez-vous que le vin de Bordeaux a largement participé à rendre cette région dynamique et attractive, et qu’en ce sens le vin vous a aussi permis de venir vous asseoir à cette table !
Mots-clés :
Articles similaires

L’édito politique du mercredi : Sébastien Lecornu : un grognard à Matignon
La nomination de Sébastien Lecornu est tout sauf une surprise. La passation de pouvoir prévue aujour...

TER : Nouvelle-Aquitaine en croisade contre les tarifs SNCF
TER trop chers : la Nouvelle-Aquitaine mène la fronde contre SNCF Réseau. 4,5 milliards par an en je...

Éric Agostini, une vie au service des vins de Bordeaux
Il n’a jamais taillé la vigne, mais il en a protégé l’âme. Dans les prétoires comme dans les amphith...