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Économie

Arrachage de vignes : le plan à 130 M€ qui acte un échec politique

Le plan d’arrachage à 130 M€ révèle une vérité que l’État esquive depuis des années : la viticulture française décroche, et le vignoble girondin encaisse le choc.

Par Jacques FROISSANT
Publié il y a 25 nov.
5 min de lecture
Arrachage de vignes : le plan à 130 M€ qui acte un échec politique
Arrachage de vignes : le plan à 130 M€ @Aqui.Media

Le gouvernement débloque 130 millions d’euros pour arracher des vignes. Une mesure présentée comme indispensable, mais ressentie en Nouvelle-Aquitaine comme l’aveu d’un échec politique longuement différé. Quand la première région viticole du pays décroche, c’est tout un modèle qui vacille.

Un plan massif qui révèle la fragilité du système

L’annonce officielle est tombée sans emphase, presque comme un constat résigné. L’État financera un plan d’arrachage définitif de vignes, doté de 130 millions d’euros et piloté par FranceAgriMer. Le communiqué explique qu’il s’agit d’un effort nécessaire pour soutenir la filière et rééquilibrer le marché.

"Il faut qu'on produise ce qu'on est capable de vendre", déclare mardi 25 novembre sur ICI Herault la ministre de l'Agriculture, Annie Genevard.

La phrase résume un virage longtemps repoussé. Bordeaux, comme d'autres régions viticoles, accumule depuis plusieurs années des volumes impossibles à écouler. Les ventes de Bordeaux rouge ont plongé (- 50% en dix ans selon le CIVB), et la consommation nationale de vins a baissé de 32% en vingt ans (FranceAgriMer). Les exportations se sont elles aussi contractées et les viticulteurs ne parviennent plus à maintenir l’équilibre financier de leurs exploitations.

La profession évoque même jusqu’à trente-cinq mille hectares susceptibles d’être concernés, à terme, par des opérations d’arrachage. Le chiffre est vertigineux à l’échelle nationale, mais tristement cohérent lorsqu’on se concentre sur la Nouvelle-Aquitaine.

La viticulture bordelaise face à une crise durable

Dans les campagnes girondines, la crise ne s’est pas installée soudainement. Elle s’est infiltrée progressivement, par la chute de la consommation nationale, par la désaffection du public pour les rouges d’entrée de gamme, par la concurrence internationale, puis par un contexte social devenu intenable. La région produit encore plus de 110 000 hectares de vignes, génère 55000 emplois directs et irrigue toute une économie rurale.

« Arracher n’est pas un choix, c’est une nécessité pour éviter une vague de cessations d’activité. » (témoignage d’un responsable de coopérative, Vitisphere)

FranceAgriMer décrit depuis des années une incohérence croissante entre les volumes produits et les volumes absorbés par le marché. Le vignoble bordelais a tardé à admettre que les habitudes de consommation changeaient, que la société évoluait et que les modèles hérités des décennies précédentes ne tenaient plus. La région entière paye cette lenteur d’adaptation.

Le plan de 130 millions est présenté par certains médias spécialisés comme un investissement destiné à redonner un avenir, mais cette vision convainc mal. L'urgence commande, on arrache d’abord, mais on réfléchira ensuite pour un projet encore très hypothétique.

Dans beaucoup de communes, on redoute d’ailleurs de voir les parcelles arrachées devenir des friches ou des forêts faute d’alternative crédible. L’incertitude alimente une inquiétude profonde.

Un État rattrapé par sa propre doctrine agricole

Le gouvernement défend pourtant une argumentation simple : réduire la surface pour rétablir un équilibre entre l’offre et la demande. En langage économique, la logique se tient. En langage politique, elle est plus inconfortable. Il faut désormais admettre que l’État a entretenu ce modèle durant trois décennies en soutenant des volumes croissants, en laissant s’installer une inertie collective et en comptant sur la distillation de crise comme instrument d’amortissement. En ignorant les signaux faibles, l'Etat et la profession, CIVB en tête, a laissé s’installer un modèle figé, intenable aujourd'hui.

Ce plan de sauvetage est un plan d'urgence sans stratégie derrière. L'Etat déverse de l'argent, cela calme la profession, stabilise les prix à l'hectolitre, et offre une respiration aux exploitations. Mais aucune trajectoire n’est dessinée. Rien sur les cépages de demain, les reconversions possibles, la montée en gamme ou les modèles économiques alternatifs. Le plan est significqatif, mais il ne trace pas la moindre ligne pour demain.

Quelle viticulture à l'avenir ?

La Gironde reste un géant viticole, mais ce géant doute. S’agit-il de réduire pour mieux repartir ? De restructurer en profondeur les appellations (certains s'en affranchissent déjà), les gammes, les pratiques ? De reconvertir des zones entières vers d’autres productions ? De miser davantage sur la montée en gamme, l’œnotourisme ou l’innovation agronomique ? Aucune réponse n’est encore formulée clairement.

Le débat dépasse d’ailleurs l’économie du vin. À Blanquefort, notre reportage sur le lancement du projet NAVI a montré que la région investit aussi dans la formation et l’innovation viticole. Mais ces signaux restent minoritaires face à l’ampleur de la mutation à conduire.
Et dans un autre registre, notre enquête sur PestiRiv a rappelé que la viticulture bordelaise fait face à une pression environnementale considérable, avec des attentes croissantes sur les pratiques, les intrants et la transition vers le bio. L’avenir du vignoble se joue donc autant dans les choix agricoles que dans les choix politiques.

La décroissance viticole française, assumée ou non, a commencé dans la région qui a longtemps porté l’image mondiale du vin français. Le signal est puissant. Et il dépasse largement la seule Gironde.

La suite dépendra de la capacité collective à accepter la mutation plutôt qu’à la subir. Arracher est un acte radical. Reconstruire demande une vision. A l'heure du changement climatique, qui a aussi de lourdes conséquences à venir sur le vignoble, il est temps de penser avenir. Pour l’instant, seule la première partie du travail est financée.


Sources :

Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, communiqué officiel sur le plan d’arrachage de vignes doté de 130 M€, piloté par FranceAgriMer (25 novembre 2025).
FranceAgriMer, données de conjoncture viticole et statistiques de consommation (notes 2023–2025).
Vitisphere, témoignages professionnels sur l’arrachage définitif de vignes et analyses sectorielles (article du 25 novembre 2025).
AQUI.Media, Blanquefort : la vigne du futur s’invente ici (https://www.aqui.media/article/blanquefort-la-vigne-du-futur-sinvente-ici).
AQUI.Media, PestiRiv secoue le Bordelais : pesticides, bio et avenir du vignoble (https://www.aqui.media/article/pestiriv-secoue-le-bordelais-pesticides-bio-et-avenir-du-vignoble).

JA

Par Jacques FROISSANT

Directeur de la publication

Bordelais, œnologue, tout allait bien… jusqu’à ce que je dérape dans l’entrepreneuriat RH pour les startups. 😉 Auteur et chroniqueur (L’Express, FrenchWeb, France 3 NOA...), je suis aujourd’hui cofondateur et rédacteur en chef d’AQUI.Media

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