PestiRiv secoue le Bordelais : pesticides, bio et avenir du vignoble ?
PestiRiv alerte : les Bordelais respirent-ils trop de pesticides ? Le bio progresse, mais la cohabitation vigne-riverains reste explosive.

La publication des résultats de l’enquête PestiRiv par Santé publique France et l’Anses1 a jeté un éclairage inédit sur l’exposition des riverains aux pesticides dans les régions viticoles françaises. L’étude, menée entre 2021 et 2022 sur 1 946 adultes et 742 enfants, révèle que vivre à proximité immédiate de vignes entraîne une imprégnation plus importante par certains produits phytopharmaceutiques, en particulier durant les périodes de traitement. Cette conclusion ne surprendra sans doute pas les habitants des campagnes girondines, mais elle vient quantifier une réalité longtemps discutée.
Une exposition plus élevée près des vignes ?
Les chercheurs ont mesuré la présence de plusieurs substances dans l’air, les poussières domestiques, les urines et les cheveux. Les riverains vivant à moins de 500 m des vignes présentent des niveaux d’imprégnation jusqu’à 45 % plus élevés que les habitants de zones éloignées, et les poussières domestiques peuvent contenir jusqu’à 10 fois plus de résidus. Dans l’air extérieur, la concentration en pesticides est parfois jusqu’à 12 fois plus élevée, et même 45 fois plus en période de traitements intensifs.
Ces substances sont majoritairement des fongicides, tel le folpel, indispensables à la protection de la vigne contre le mildiou et l’oïdium, deux maladies redoutables du vignoble bordelais.
Cette imprégnation est plus marquée au printemps et en été, lorsque les passages de pulvérisateur se multiplient. Les enfants, souvent considérés comme plus vulnérables, présentent des niveaux d’exposition comparables, voire légèrement supérieurs à ceux des adultes. Ces résultats relancent le débat sur les zones de non-traitement et sur les dispositifs d’information des riverains.
Bordeaux, laboratoire du bio ?
Le vignoble bordelais, fort de ses 100 000 hectares, est l’un des plus grands d’Europe et aussi l’un des plus exposés aux maladies fongiques en raison de son climat océanique humide. Pourtant, la conversion à l’agriculture biologique y connaît une progression rapide : en 2023, près de 17 000 hectares étaient certifiés bio ou en conversion, soit plus de 15 % de la surface totale. Certaines appellations comme Sainte-Foy Bordeaux ou les Côtes de Bourg affichent même des taux de conversion supérieurs à la moyenne.
La viticulture biologique interdit l’usage de pesticides de synthèse. Elle repose sur le cuivre et le soufre, des substances minérales autorisées, ainsi que sur des pratiques culturales préventives : enherbement, sélection de cépages résistants, taille raisonnée pour favoriser l’aération des grappes. Ces choix réduisent la dispersion de molécules dans l’air et pourraient contribuer, à terme, à diminuer l’exposition des riverains.
Une transition encore incomplète
Cependant, la viticulture bio n’est pas exempte de défis. Les aléas climatiques récents — printemps humides, été caniculaires — compliquent la protection du vignoble et peuvent nécessiter des passages fréquents de tracteur pour appliquer cuivre et soufre. De plus, la conversion demande un investissement économique important, que tous les producteurs ne peuvent assumer.
Les résultats de PestiRiv posent donc une question clé : comment concilier production viticole, protection de l’environnement et santé publique ? Pour certains syndicats d’appellation, l’étude renforce la nécessité d’accélérer la transition agroécologique. Des initiatives voient le jour : plantations de haies pour limiter la dérive de pulvérisation, adoption de matériels de pulvérisation plus précis, expérimentations sur les biocontrôles et les variétés résistantes.
Vers une viticulture toujours plus « responsable »
Si PestiRiv ne se prononce pas sur les effets sanitaires à long terme de l’exposition, elle souligne la responsabilité collective de réduire les usages de pesticides. Pour le Bordelais, la généralisation de pratiques respectueuses de l’environnement est un levier de compétitivité et un argument commercial puissant sur les marchés internationaux, où la demande en vins bio ne cesse de croître. Le défi pour le vignoble reste l’équilibre financier.
L’enjeu dépasse la seule santé des riverains : il s’agit aussi d’attirer de nouvelles générations de vignerons et de renforcer l’acceptabilité sociale de la viticulture dans les campagnes comme en zone urbaine. Dans ce contexte, le bio n’est pas une solution unique, mais une voie possible pour réinventer le vignoble bordelais et répondre aux attentes sociétales.
Urbanisme contre vigne : qui porte la faute ?
Si l’étude PestiRiv met en lumière la nécessité de réduire l’exposition des riverains aux pesticides, il ne faut pas oublier que la question dépasse le seul champ de la viticulture. Dans le Bordelais, nombre de parcelles de vigne étaient en place bien avant que ne se construisent les lotissements, les écoles ou les zones d’activités à leurs abords. Les plans locaux d’urbanisme (PLU) ont souvent autorisé l’urbanisation au plus près des rangs de vignes, sans prévoir de zones tampons ni de haies protectrices. Résultat : aujourd’hui, les conflits d’usage explosent.
Un exemple intéressant est celui du vignoble de Pessac-Léognan, dont les vignes s’étendent notamment jusqu’aux portes de Bordeaux et de Pessac. Malgré la proximité immédiate d’immeubles, les domaines ont réussi à préserver leur identité et à s’intégrer harmonieusement dans le paysage urbain, grâce à la conservation de bâtiments historiques et à des aménagements paysagers qui atténuent la frontière entre ville et vigne.
Et maintenant ?
La responsabilité est partagée. Aux vignerons de réduire encore leurs intrants et d’adopter des pratiques plus respectueuses de l’environnement. Aux collectivités d’intégrer la vigne dans leurs documents d’urbanisme. Et de prévoir des aménagements qui protègent les habitants tout en maintenant l’activité agricole.
Le Bordelais aime se présenter comme pionnier du “vin responsable”. Mais PestiRiv rappelle une réalité brutale : on ne peut pas vendre du “vert” aux marchés internationaux tout en laissant les riverains respirer du folpel au pied des écoles.
Seule une approche concertée permettra une cohabitation durable. Sinon, les conflits d’usage continueront de se multiplier.
1Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail

C’est quoi le folpel ?
Le folpel est un fongicide de synthèse, très répandu dans le vignoble bordelais. Il sert à protéger la vigne contre le mildiou et l’oïdium, deux maladies redoutables pour les récoltes.
C’est un produit dit de contact : il reste sur les feuilles et les grappes, sans pénétrer dans la plante.
Problème : il figure parmi les substances les plus détectées dans l’air et les poussières domestiques en zones viticoles, comme l’a montré l’étude PestiRiv. L’Agence européenne des produits chimiques le classe comme irritant et nocif par inhalation, avec un risque suspecté de perturbateur endocrinien.
Dans certaines années de forte pression mildiou, le folpel peut être pulvérisé plus d’une dizaine de fois sur une même parcelle.