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Économie

SHEIN : un danger économique, sanitaire et sociétal — pour vous et vos entreprises ?

L’ouverture de SHEIN au BHV devait redorer son image ; elle révèle au contraire pourquoi c'est un modèle toxique pour l’économie, la santé et la société françaises.

Par Jacques FROISSANT
Publié il y a 12 nov.
7 min de lecture
SHEIN : un danger économique, sanitaire et sociétal — pour vous et vos entreprises ?

Pourquoi le modèle de la fast fashion chinoise menace à la fois notre économie, notre santé et nos emplois ? Derrière les files d’attente et les promos à 2 €, SHEIN cache un modèle qui menace l’économie française, la santé publique et nos valeurs. L’ouverture au BHV a tourné au fiasco, et c’est tant mieux.


La foule du BHV, une illusion d’optique

Le hasard d’un déplacement à Paris m’a amené devant le BHV au moment de l’ouverture de l’espace Shein au sein du BHV. Vous avez tous vu les images de la queue devant le magasin. En réalité pas si importante que cela. Il y avait quasi autant de monde sur le trottoir d’en face : manifestants, curieux du phénomène, nombreux médias, sans compter un encadrement policier conséquent. Tout cela pour une opération SHEIN - BHV qui devait marquer une nouvelle ère : passer du clic à la vitrine.

« SHEIN a d’ores et déjà perdu », tranche Yann Rivoalan, président de la Fédération française du prêt-à-porter féminin.
Son verdict est sans appel : “Leur opération BHV est le grand fiasco de l’année. Ils ont acheté la foule pour faire oublier qu’ils sont la pire entreprise textile du monde.”

Une stratégie classique : promotions massives, produits gratuits, influenceurs mobilisés pour créer un effet de masse. Sauf que cette fois, la manœuvre s’est retournée contre eux. Entre manifestations, retraits de partenaires commerciaux et encadrement policier, SHEIN symbolise désormais le rejet collectif d’une économie low-cost sans foi ni loi.

Le BHV se targue d’avoir attiré 50 000 personnes en 5 jours. C’est une bonne performance, mais cela correspond à une affluence classique sur leurs anciennes opérations commerciales.
Pour comparaison, le Printemps et les Galeries Lafayette, c’est plus de 50 000 visiteurs par jour.

Autre déception : les clients SHEIN ont eu la surprise de voir des produits vendus 3 à 4 fois plus cher qu’en ligne. L’explication est simple : en magasin, il faut s’acquitter de la TVA, assurer une logistique différente et rémunérer l’espace et le personnel. Le jean à 10 € sur le site montait donc à 30 ou 40 € au BHV. Le “prix magique” n’existe plus dès que les règles s’appliquent.

Les Français ne sont plus dupes

SHEIN défend son modèle comme une démocratisation de la mode. Mais cette accessibilité a un coût caché : destruction d’emplois locaux, pollution et risques sanitaires. Et les Français réagissent.

Selon un sondage Ipsos (novembre 2025), 7 Français sur 10 souhaitent des mesures économiques et réglementaires pour freiner SHEIN et ses équivalents chinois. 80 % estiment que ces plateformes détruisent les emplois européens, et près de 70 % demandent une régulation urgente.

Et ce sondage date d’avant deux nouveaux scandales : la vente de poupées pédopornographiques et celle d’armes de catégorie A, pourtant interdites en France.

Le député Antoine Vermorel-Marques a d’ailleurs saisi la procureure de la République : “SHEIN a été condamnée par la CNIL, la DGCCRF, et vend maintenant des produits pédopornographiques. Aujourd’hui, nous demandons au gouvernement de prendre des mesures allant jusqu’à la suspension, au moins temporaire, du site. Nous l’avons fait avec Wish en 2021, nous pouvons le faire avec SHEIN.”

Le contraste est violent : tandis que la marque parle de “démocratisation de la mode”, la majorité des citoyens y voient un danger économique et éthique.
SHEIN n’est plus une marque à succès : c’est un symbole de rejet.

Un modèle économique toxique

SHEIN a bâti son empire sur le contournement des règles. Grâce au régime des petits colis (importations < 150 €), l’entreprise échappe à la TVA et aux droits de douane, créant une distorsion de concurrence majeure. Ses produits arrivent en Europe à des prix qu’aucune entreprise française ne peut soutenir sans tricher.

En juillet 2025, la DGCCRF lui a infligé 40 millions d’euros d’amende pour “pratiques commerciales trompeuses” : rabais fictifs, promotions mensongères, prix barrés non justifiés. Quelques semaines plus tard, l’Italie sanctionne SHEIN d’un million d’euros pour greenwashing (AGCM).

Depuis le 6 novembre 2025, 200 000 colis SHEIN ont été bloqués et contrôlés par la Douane à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle. Résultat : huit articles sur dix non conformes (cosmétiques non autorisés, jouets dangereux, appareils électroménagers défaillants). Les sanctions sont à venir.

Pendant ce temps, les commerçants des Galeries Lafayette de Limoges dénoncent “une trahison”. La marque chinoise s’installe là où le commerce de proximité peine déjà à survivre. “La pilule passe mal”, titrait AQUI.Media.

Une machine à manipuler les consommateurs

Les plaintes se multiplient au niveau européen. BEUC et 25 organisations de consommateurs accusent SHEIN d’utiliser des dark patterns — ces ruses de design numérique qui manipulent les comportements d’achat. Minuteurs fictifs, alertes de stock bidons, rabais “qui expirent dans 5 minutes” : un système conçu pour déclencher l’achat impulsif et la dépendance.

L’objectif est clair : saturer les cerveaux, pas les dressings. Et cela fonctionne : des millions de jeunes achètent chaque mois sur l’application sans se demander où, comment, ni par qui sont fabriqués ces vêtements.

Yann Rivoalan résume la situation :
“SHEIN instrumentalise la foule pour la présenter comme représentative des Français. C’est une illusion de masse.”

Illusion d’autant plus criante que 70 % des Français réclament son encadrement, voire son interdiction.

Un danger sanitaire sous-estimé

Les vêtements SHEIN coûtent peu, mais ils peuvent coûter cher à la santé. Une enquête Greenpeace Germany a révélé que 15 % des produits testés dépassaient les limites européennes en substances chimiques, et 32 % contenaient des taux préoccupants de phtalates ou de métaux lourds. Un podcast de Franceinfo (“Vrai ou faux : les produits SHEIN et TEMU sont-ils dangereux ?”) confirme la présence de formaldéhyde, chrome VI et autres perturbateurs endocriniens. Ces substances sont associées à des risques de cancers, d’allergies et de troubles hormonaux.

À cela s’ajoute l’impact écologique : 8 à 10 % des émissions mondiales de CO₂ proviennent déjà du textile (sources ADEME 2025 et ONU).
SHEIN, en multipliant par dix le rythme de renouvellement des collections, accélère la pollution des eaux et la diffusion de microplastiques jusque dans nos océans.

Le front politique et citoyen s’élargit

Rarement une marque aura fait l’unanimité contre elle. De Rachida Dati à Sandrine Rousseau, de Greenpeace à la Banque des Territoires, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer une implantation jugée “indécente”.
Même le gouvernement s’en mêle : une procédure de suspension a été enclenchée en novembre 2025. L’Union européenne, elle, menace désormais SHEIN d’amendes jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires mondial via le Digital Services Act.

“Jamais je n’ai vu une telle mobilisation contre une entreprise textile”, souligne la fondatrice d’une marque de mode française.

Ce consensus inédit, à la fois politique et citoyen, pourrait bien sceller le sort de la marque en Europe.

Des alternatives locales existent déjà

À l’opposé de ce modèle, des entreprises régionales montrent qu’un textile durable et rentable est possible.

Tissena (Angoulême) : revalorisation textile et insertion professionnelle à partir de vêtements usagés.
Ouateco (Landes) : recyclage de textiles usagés pour produire des isolants biosourcés, 100 % made in Nouvelle-Aquitaine.
La filière chanvre et lin régional : fibres locales, culture à faible impact, circuits courts.

Ces initiatives, comme de nombreuses autres, démontrent que la compétitivité n’est pas incompatible avec la durabilité. Elles réinventent l’industrie textile depuis les territoires — là où SHEIN détruit, elles reconstruisent.

Le vrai prix du t-shirt à 4 euros

SHEIN n’est pas un phénomène de mode. C’est le miroir d’un système économique et culturel où tout, y compris la santé, l’environnement et l’emploi, devient jetable.
Mais cette fois, les consommateurs semblent avoir ouvert les yeux : le pas cher devient cher quand il détruit la valeur.

Le BHV voulait incarner la mode populaire ; il aura révélé un malaise national.
Le vrai luxe, désormais, c’est de consommer avec conscience. Et ça, aucune promo à –90 % ne pourra l’acheter.

JA

Par Jacques FROISSANT

Directeur de la publication

Bordelais, œnologue, tout allait bien… jusqu’à ce que je dérape dans l’entrepreneuriat RH pour les startups. 😉 Auteur et chroniqueur (L’Express, FrenchWeb, France 3 NOA...), je suis aujourd’hui cofondateur et rédacteur en chef d’AQUI.Media

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