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Environnement

Résilience agricole : l’étude qui affirme que la Ferme France peut rester rentable jusqu’en 2050

Une agriculture française rentable en 2050, malgré le climat. Le consortium Crédit Agricole, InVivo, Sofiprotéol et Unigrains avance ses chiffres, ses leviers… et laisse des questions ouvertes.

Par Jacques FROISSANT
Publié il y a 23 déc.
6 min de lecture
Résilience agricole : l’étude qui affirme que la Ferme France peut rester rentable jusqu’en 2050
Résilience agricole Photo by Randy Fath / Unsplash
1 100 à 2 000 € par hectare investis, pour un retour sur investissement estimé entre 10 et 11 ans.
Selon l’étude « Résilience Agricole », c’est le coût moyen de la transition pour maintenir ou améliorer la rentabilité des exploitations françaises d’ici 2050.

Les agriculteurs sont plus que jamais exposés. La crise actuelle autour de la dermatose nodulaire en est un exemple parmi d’autres. Face au dérèglement climatique, aux tensions géopolitiques et à l’explosion des coûts de production, l’agriculture française avance sous pression.
D’un côté, une injonction à se transformer vite. De l’autre, des exploitations déjà fragilisées, parfois à bout de souffle.

C’est dans ce contexte que Crédit Agricole, InVivo, Sofiprotéol et Unigrains ont dévoilé les résultats de l’étude « Résilience Agricole ».

Ambition affichée : démontrer que la Ferme France peut rester rentable, souveraine et durable à l’horizon 2050. Le message est volontairement optimiste. Presque rassurant. Mais il mérite d’être regardé de près.

Changement climatique : un choc économique déjà mesurable pour l’agriculture française

Premier mérite de l’étude : le diagnostic.

Le changement climatique n’est plus une variable d’ajustement. Il devient un facteur économique structurant. Sécheresses, aléas extrêmes, contraintes réglementaires, volatilité des marchés.
Le coût de l’inaction est chiffré entre 4 et 7 milliards d’euros de pertes par an, avec 30 à 50 % de rentabilité en moins sur les exploitations étudiées.

Autrement dit : ne rien faire coûterait plus cher que d’agir.

Le secteur agricole et agroalimentaire représente 3,8 % du PIB français, près de 100 milliards d’euros de valeur ajoutée et 5 % de l’emploi. Ce n’est pas un secteur périphérique. C’est un pilier économique et territorial. Le laisser s’éroder serait un choix politique lourd.

Une étude fondée sur le terrain : 11 exploitations types, 52 % de la SAU analysée

L’étude se distingue par sa méthode. Pas de grandes projections hors-sol. Les travaux ont été menés à partir de 11 exploitations types, réparties sur 9 territoires, couvrant 52 % de la surface agricole utile française, soit environ 14 millions d’hectares.

Le regard est double : agronomique et économique. Une approche encore trop rare, tant ces deux dimensions restent souvent cloisonnées.
Rotations culturales, pratiques de production et modèles économiques sont ici analysés ensemble, avec un objectif clair : identifier des leviers concrets, déjà connus pour la plupart, mais encore insuffisamment déployés à grande échelle.

Quels leviers pour renforcer la résilience agricole à l’horizon 2050 ?

Le communiqué est clair. Il n’y aura pas de solution miracle.
La résilience agricole passera par une combinaison de leviers, à adapter aux productions et aux territoires.

Leviers agronomiques

Diversification des assolements, allongement des rotations, introduction de cultures plus adaptées au climat futur comme les légumineuses ou le chanvre. Adoption de pratiques issues de l’agriculture régénératrice pour améliorer la santé des sols et réduire la dépendance aux intrants.

Leviers technologiques

Amélioration génétique des variétés, solutions de biocontrôle, agriculture de précision, robotisation. Des outils déjà disponibles, mais encore inégalement diffusés.

Leviers économiques et organisationnels

Retour de modèles polyculture-élevage pour lisser les revenus. Développement de cultures intermédiaires à vocation énergétique afin de créer de nouvelles sources de valeur.

Rien de révolutionnaire sur le papier. Et c’est assumé. Le pari de l’étude repose sur une montée en puissance coordonnée de solutions éprouvées, pas sur une rupture brutale.

Rentabilité agricole : pourquoi la transition pourrait aussi améliorer les marges

C’est le cœur du discours. Et l’argument clé pour convaincre.

Selon l’étude, 100 % des exploitations types analysées parviendraient à maintenir ou améliorer leur rentabilité à l’horizon 2050, à condition de déployer les leviers identifiés. Certaines afficheraient même jusqu’à +20 % de marge.

Un message que revendique clairement InVivo, l’un des piliers du consortium. Olivier Clyti, directeur Stratégie, RSE et Digital du groupe, assume cet angle économique, loin d’un discours uniquement environnemental :

« Si l’étude confirme sans surprise l’impact économique négatif du changement climatique sur les exploitations agricoles françaises, elle apporte un message d’optimisme : la mise en œuvre de leviers de résilience, déjà connus ou présents au niveau des exploitations, permet non seulement d’en compenser les effets, mais aussi, dans certains cas, d’accroître le résultat à l’hectare. »

Un point essentiel. La transition agricole ne serait pas seulement une réponse défensive aux aléas climatiques, mais un levier de performance, à condition d’être pensée dans la durée.

Combien coûte la transition agricole et qui va payer ?

Le coût de cette trajectoire est assumé. À l’échelle nationale, l’investissement nécessaire serait compris entre 16 et 29 milliards d’euros sur la période 2025-2050, selon l’ampleur des leviers déployés. Un montant considérable, au regard du faible engagement structurel de l’État, alors même que l’agriculture française est directement menacée.

À l’échelle d’une exploitation, cela représente 1 100 à 2 000 euros par hectare, avec un retour sur investissement estimé entre 10 et 11 ans. Des montants significatifs, mais présentés comme soutenables, à condition que l’effort ne repose pas uniquement sur les agriculteurs.

Finance agricole : un rôle central… et des dépendances qui interrogent

Le message est explicite. La transition agricole ne pourra pas être portée par les seules exploitations.

Banques, investisseurs, assureurs, industriels, pouvoirs publics. Tous sont appelés à jouer un rôle. Le Crédit Agricole annonce d’ailleurs le lancement, début 2026, d’un fonds de développement en agriculture, destiné à accompagner installation, modernisation et croissance des exploitations.

Cette centralité du financement bancaire suscite néanmoins des interrogations.
Certains agriculteurs redoutent une dépendance accrue à un acteur déjà dominant. Beaucoup préféreraient un engagement clair, lisible et durable de l’État, plutôt qu’un transfert progressif de la transition vers les bilans bancaires.

Une étude structurante… mais encore partiellement opaque

Reste une zone d’ombre. Et elle est de taille. Le document rendu public est un communiqué de presse, pas l’étude complète. Les modèles économiques détaillés, les hypothèses climatiques, les arbitrages par filière ou par territoire ne sont pas accessibles.

Un choix assumé, mais qui interroge. Car cette étude est appelée à structurer des décisions d’investissement, des offres de financement et, potentiellement, des politiques publiques. Sans transparence complète, le débat reste partiel.

Résilience agricole : une trajectoire crédible, pas encore un consensus

L’étude « Résilience Agricole » trace une trajectoire crédible. Elle démontre que transformation et rentabilité ne sont pas incompatibles. Elle rappelle aussi une évidence souvent tue : le statu quo n’est pas une option.

Mais entre modélisation et terrain, il reste un pas immense.
Celui de l’appropriation par les agriculteurs, de l’alignement des filières et de la constance politique sur vingt-cinq ans.

La Ferme France peut être résiliente en 2050, à condition que la promesse ne reste pas un communiqué de presse.

JA

Par Jacques FROISSANT

Directeur de la publication

Bordelais, œnologue, tout allait bien… jusqu’à ce que je dérape dans l’entrepreneuriat RH pour les startups. 😉 Auteur et chroniqueur (L’Express, FrenchWeb, France 3 NOA...), je suis aujourd’hui cofondateur et rédacteur en chef d’AQUI.Media

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