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Économie

TER en Nouvelle-Aquitaine : quand la Région arrête de réparer les rails de l’État

La Région Nouvelle-Aquitaine cesse de compenser le sous-investissement de l’État dans le rail. Un tournant budgétaire qui met le réseau TER sous tension et rend possibles des fermetures de lignes.

Par Jacques FROISSANT
Publié il y a 18 déc.
7 min de lecture
TER en Nouvelle-Aquitaine : quand la Région arrête de réparer les rails de l’État
TER en Nouvelle-Aquitaine : quand la Région arrête de réparer les rails @Aqui.Media

Réuni ces 18 et 19 décembre le Conseil Régional a un ordre du jour chargé avec comme point d'orgue le budget primitif 2026. Et une grande décision y a été prise : la Région Nouvelle-Aquitaine n’interviendra plus hors de ses compétences pour compenser le sous-entretien du réseau ferroviaire par l’État.

Ainsi, la collectivité cesse de colmater les brèches d’un réseau qui ne lui appartient pas. Dans le même temps, SNCF Réseau augmente ses tarifs en les justifiant par le coût de l'entretien. Dans une région où le trafic TER a bondi de 42 % en cinq ans, le signal est clair. Le système arrive en butée.

Une rupture assumée dans le budget 2026

Jusqu’ici, la Région faisait tampon et finançait la réfection du réseau. Quand l’État n’investissait pas assez dans l’entretien des voies, elle complétait. Sa croisade contre les tarifs de SNCF Réseau ayant échouée, elle décide de renvoyer l'Etat face à ses responsabilités. Clap de fin dès 2026 aux compensations.

« Jusqu’au budget de 2025, nous intervenions hors de nos compétences pour faire face au manque d’entretien du réseau. En 2026, pour la première fois, il n’y aura pas d’intervention », a résumé Renaud Lagrave, vice-président du Conseil régional en charge des mobilités.

Le message est politique et logique. Le réseau appartient à l’État et son entretien aussi.

Selon la Cour des comptes, Régions de France et plusieurs comparaisons européennes, l’État français consacre autour de 50 euros par an et par habitant à l’entretien du réseau ferroviaire, contre plus de 110 euros dans des pays européens comparables comme l’Allemagne, l’Autriche ou la Suisse. Un écart structurel, documenté depuis plus d’une décennie. (Voir les raisons dans l'encadré en bas de page)

Un réseau de plus en plus utilisé… et de moins en moins soutenu

Le paradoxe est connu, AQUI l’a documenté à plusieurs reprises. Le TER n’a jamais autant servi. Entre 2019 et 2024, la fréquentation du réseau en Nouvelle-Aquitaine a progressé de 42 %, avec des pointes de saturation autour de Bordeaux, sur les axes Arcachon, Libourne ou Langon.

Pour répondre à cette demande, la Région a fait sa part :

  • 12 rames Régiolis bi-mode livrées en 2025,
  • 6 rames Regio2N 100 % électriques attendues au printemps 2026,
  • plus de 4 600 places supplémentaires annoncées.

Mais ajouter des trains ne règle pas tout. Quand l’infrastructure suit mal, chaque rame supplémentaire devient un facteur de fragilisation.

Les péages ferroviaires, censés financer l’entretien du réseau, atteindront 90 millions d’euros en 2026, soit 50 millions de plus qu’en 2019. La Région paie davantage, pour un réseau qui continue de se dégrader.

Limoges–Angoulême : le précédent qui éclaire tout

Impossible de comprendre la situation actuelle sans revenir sur la ligne Limoges–Angoulême. AQUI l’a racontée en détail dans un article devenu référence.

Fermée en 2020 pour cause de vétusté, cette ligne stratégique pour le Limousin est devenue le symbole d’un réseau abandonné. Travaux retardés, calendrier incertain, réouverture promise pour 2027 sans garantie absolue. Sept ans sans train pour un territoire déjà enclavé.

Quand l’État reporte, quand SNCF Réseau arbitre, quand les financements manquent, ce sont toujours les lignes dites « secondaires » qui trinquent en premier. Limoges–Angoulême a montré jusqu’où pouvait aller cette logique.

Tarifs SNCF et péages ferroviaires : une bataille perdue d’avance pour les Régions

La tension financière ne se limite pas à l’entretien. Elle touche aussi les tarifs. La Nouvelle-Aquitaine a mené une véritable croisade contre les hausses imposées par SNCF Réseau. Sans succès. Le Conseil d’État a donné raison à l’opérateur public, validant juridiquement le modèle de péages, même s’il fragilise les Régions organisatrices. L’État, déjà fortement endetté, sera-t-il capable, avec SNCF Réseau, de financer la rénovation du réseau ? Malgré toutes les bonnes volontés affichées, on peut en douter au moins à court terme.

Les régions ne veulent plus payer d'un coté la rénovation des voies et de l'autre être soumis au péage de SNCF Réseau. La décision budgétaire 2026 de la Région Nouvelle-Aquitaine s’inscrit dans cette logique.

Des fermetures de lignes désormais assumées

« Des lignes vont sûrement fermer. On a déjà des alertes sur plusieurs. Le réseau est malade, pas assez entretenu. »

La phrase claque. Elle tranche avec le langage feutré habituel. Elle dit ce que beaucoup savaient déjà. La question n’est plus de savoir si des lignes fermeront, mais lesquelles, quand, et avec quelles alternatives.

L’étoile bordelaise restera prioritaire. Les zones périphériques deviendront la variable d’ajustement. C’est le risque majeur.

Jusqu’où peut tenir le système ?

En cessant d’intervenir hors compétence, la Région envoie un signal clair à l’État. Elle ne peut plus, seule, porter un réseau ferroviaire national sous-financé. La suite dépendra des arbitrages parisiens et de leur calendrier. Le risque est réel de voir des lignes secondaires fermées ou ne jamais être réouvertes. L'effort va se concentrer sur le réseau en étoile autour de Bordeaux (Arcachon-Coutras, Pays Basque, Langon, Le Verdon...)

D’ici là, une chose est sûre. Le TER en Nouvelle-Aquitaine entre dans une phase de vérité. Des choix difficiles seront fait, et la fracture territoriale pourrait s’élargir, rail après rail.


Sources


Pourquoi la France investit moins que ses voisins dans le rail

La comparaison européenne est sans appel. La France consacre environ 50 euros par an et par habitant à l’entretien de son réseau ferroviaire. En Allemagne, en Autriche ou en Suisse, l’effort dépasse 110 euros par habitant. Cet écart ne tient pas à un choix récent. Il est structurel.

1. Un modèle historiquement centré sur la grande vitesse

Depuis trente ans, la priorité de l’État s’est portée sur les LGV. Ces investissements, lourds et visibles, ont longtemps servi de vitrine politique. En contrepartie, le réseau dit « classique », celui des TER et des lignes du quotidien, a été sous-financé. Résultat : un réseau étendu, mais vieillissant, avec des besoins de régénération massifs.

2. Une dette ferroviaire longtemps laissée hors bilan

Avant la reprise partielle de la dette de la SNCF par l’État, le financement du réseau reposait largement sur l’endettement de SNCF Réseau. Cette logique a retardé les investissements de fond. Là où l’Allemagne ou la Suisse financent directement l’infrastructure par le budget public, la France a longtemps différé l’effort.

3. Un partage flou des responsabilités entre l’État et les Régions

Le réseau appartient à l’État, mais les Régions financent l’exploitation des TER. Cette organisation hybride a conduit, pendant des années, à un jeu de renvois de responsabilité. Les Régions ont parfois compensé le manque d’investissement national, sans pouvoir le faire durablement. Le budget 2026 marque une rupture avec cette pratique.

4. Des péages ferroviaires parmi les plus élevés d’Europe

Pour financer l’entretien, SNCF Réseau s’appuie fortement sur les péages payés par les opérateurs, donc par les Régions. En Nouvelle-Aquitaine, ils atteindront 90 millions d’euros en 2026, en hausse constante depuis 2019. Ce modèle pèse sur les budgets régionaux et limite leur capacité d’investissement.

5. Des voisins qui ont fait un choix politique inverse

En Allemagne, en Autriche ou en Suisse, le rail est considéré comme une infrastructure stratégique nationale, au même titre que les routes ou l’énergie. L’investissement public y est stable, pluriannuel, et sanctuarisé. En France, il reste soumis aux arbitrages budgétaires annuels.

JA

Par Jacques FROISSANT

Directeur de la publication

Bordelais, œnologue, tout allait bien… jusqu’à ce que je dérape dans l’entrepreneuriat RH pour les startups. 😉 Auteur et chroniqueur (L’Express, FrenchWeb, France 3 NOA...), je suis aujourd’hui cofondateur et rédacteur en chef d’AQUI.Media

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