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Eaux usées du Bassin d’Arcachon : le SIBA en question

Sur le Bassin d’Arcachon, le SIBA conçoit, exploite, contrôle et communique lui-même sur l’assainissement, sans aucun audit indépendant...

Par la rédaction
Publié il y a 71j
6 min de lecture

Sur le Bassin d’Arcachon, on aime les huîtres, les couchers de soleil, les cabanes tchanquées… et l’eau propre. Enfin, en théorie. Parce que dans la pratique, l’instance en charge de l’assainissement — le SIBA — cumule les casquettes, au point de faire naître une question qui dérange : qui contrôle celui qui est censé contrôler l’eau que nous rejetons tous ? Spoiler : personne.

Le SIBA au centre de tout

S’il y a bien un sujet sur lequel personne n’ose trop s’aventurer dans le coin, c’est celui-là. L’eau sale. Pas celle du Bassin en apparence turquoise sur Instagram, mais celle qui transite discrètement dans les tuyaux, se charge de nos lessives, toilettes, douches et produits chimiques avant d’aller se “traiter” dans l’arrière-pays, à grands coups de stations d’épuration et de réseaux souterrains. Un système complexe, géré presque intégralement par le SIBA (Syndicat Intercommunal du Bassin d’Arcachon).

Problème : ce même SIBA cumule les rôles de concepteur, réalisateur, contrôleur, et communicant sur… lui-même. Oui, vous avez bien lu ! Le même organisme qui traite les eaux usées se charge aussi d’en faire la communication officielle, d’évaluer la qualité de ses rejets, et de rassurer tout le monde. 

Cerise sur le gâteau, le SIBA a, depuis 2017, élargi ses compétences à la promotion du Bassin d'Arcachon au travers la création d'une marque territoriale partagée (www.marque-bassin-arcachon.fr).

Un monopole technique, politique, et narratif

Depuis des années, le SIBA est la seule entité chargée de l’assainissement collectif de l’ensemble du Bassin d’Arcachon. Toutes les communes lui ont délégué cette compétence. Jusque-là, rien d’anormal : la mutualisation des moyens peut avoir du sens.

Mais à mesure que les enjeux environnementaux se sont durcis, que les épisodes de pollution se sont multipliés, et que la filière ostréicole s’est montrée inquiète, une question a commencé à émerger, timidement : qui surveille ce que fait réellement le SIBA ?

Et surtout : qui ose encore poser la question sans se faire traiter de parano ou d’anti-institution ?

Des alertes trop vite balayées

Les plus attentifs se souviennent de plusieurs incidents récents. En 2018, puis en 2021 et à nouveau en 2023, des remontées de boues, des dysfonctionnements sur certaines stations d’épuration (notamment celle du Teich), et des rejets douteux ont été signalés. Rien de spectaculaire à la télévision. Pas de reportage choc. Juste quelques lignes dans la presse locale, rapidement recouvertes par une nouvelle animation touristique ou une promesse de “retour à la normale”.

À chaque fois, le discours est rodé : “incident technique isolé, aucun impact sanitaire, situation sous contrôle.” Et surtout, le SIBA communique… sur lui-même. Il produit les analyses. Il publie ses propres rapports. Il répond à ses propres interrogations. Autrement dit, le pyromane rédige le rapport d’intervention des pompiers.

Sauf qu’en décembre 2023, catastrophe, les huîtres du Bassin sont contaminées à la suite d'un épisode de plusieurs toxi-infections alimentaires collectives. Malgré des signes tangibles depuis le début du mois, l’interdiction n’est tombée que le 27 décembre. Conséquence : une grosse perte de confiance des consommateurs pas encore complètement rétablie 2 ans après.

Et les élus dans tout ça ?

Autre problème structurel : le conseil syndical du SIBA est composé exclusivement… des élus des communes membres. Donc ceux-là mêmes qui doivent être vigilants sur la qualité de l’eau, l’image touristique, et les conséquences politiques des mauvaises nouvelles environnementales. En clair : difficile d’être impartial quand on est à la fois juge, partie, et intéressé à la bonne tenue de la vitrine.

Car au fond, personne ne veut être le maire qui avoue qu’on rejette de l’eau dégueulasse dans un Bassin classé “patrimoine naturel remarquable”. Il y a trop à perdre : les touristes, les résidences secondaires, les investisseurs, les ostréiculteurs déjà fragilisés. Alors on ferme les yeux, ou on détourne les regards.

Une transparence qui a ses limites

Certes, le SIBA publie des chiffres. Des rapports. Des “bilans environnementaux”. Il dispose même d’un site très bien fait, qui vante l’excellence du traitement des eaux et les innovations techniques. L’eau traitée serait quasiment potable, les stations flambant neuves, les capteurs connectés, les rejets “maîtrisés”.

Mais qui vérifie les chiffres ? Qui a les moyens techniques, financiers, et politiques de faire un audit indépendant ? Spoiler (bis) : personne.

Et ne comptez pas sur les autorités de contrôle nationales pour mettre leur nez là-dedans. L’Office français de la biodiversité, l’Agence de l’eau Adour-Garonne, ou les DREALs sont des structures sous-dotées, noyées sous les dossiers, rarement présentes en local. Et quand elles le sont, les rapports prennent des mois à sortir… et encore plus longtemps à être commentés.

La question qui fâche : que sait-on des eaux rejetées ?

Car c’est là que le bât blesse : personne ne sait exactement ce qui est rejeté dans le Bassin. Les prélèvements sont effectués, mais rarement rendus publics de manière exhaustive. L’eau rejetée dans les émissaires de fond est parfois diluée, mais elle contient potentiellement des résidus de médicaments, de lessives, de pesticides, et d’autres joyeusetés. Les associations écologiques à la voix timide et peu relayée, le clame régulièrement. 

Et pendant ce temps-là, les bancs ostréicoles filtrent. Inlassablement. Ce sont les huîtres qui font office de testeurs grandeur nature. Et quand elles ferment en masse, ou qu’on interdit la pêche quelques jours “par précaution”, les causes restent floues. Mauvais temps ? Pluie ? Problème de réseau ? On ne saura jamais vraiment. Parce que tout est géré en interne.

Quand la gouvernance devient un sujet de santé publique

Ce n’est pas simplement un sujet technique ou environnemental. C’est un sujet de gouvernance. Peut-on sérieusement continuer à confier à une même entité la gestion opérationnelle, la mesure de ses propres performances et la communication officielle ? Dans n’importe quelle autre industrie, ce serait impensable. Imaginez Total s’auto-contrôlant sur ses rejets en mer. Imaginez un laboratoire pharmaceutique rédigeant seul ses propres essais cliniques. C’est pourtant ce qui se passe ici.

Le prix du silence

Pendant ce temps, les ostréiculteurs voient leur modèle menacé, les usagers paient leur redevance d’assainissement sans trop savoir ce qu’elle couvre, et les citoyens – riverains ou touristes – continuent à se baigner, parfois à côté d’un émissaire, sans avoir accès aux données réelles sur la qualité de l’eau.

Le silence n’est pas neutre. Il a un prix. Et tôt ou tard, il se paiera, à la fois en image, en confiance, et peut-être en santé.

Il est temps de réformer le SIBA et son contrôle 

Dans cette affaire, le vrai scandale n’est pas nécessairement dans les chiffres – qu’on ne connaît qu’en partie – mais dans l’organisation même du système. Un service public qui n’a pas de contre-pouvoir, pas de contrôle indépendant, pas de transparence réelle, devient une zone grise. Et quand il s’agit de l’eau que nous rejetons, filtrons et consommons, cette zone grise devient inquiétante.

Ce n’est pas faire de l’anti-SIBA primaire que de poser la question de sa double casquette. C’est simplement exiger que l’eau, bien commun, soit traitée avec une rigueur démocratique irréprochable. Et qu’en matière d’assainissement, comme ailleurs, les comptes soient faits par ceux qui ne les tiennent pas.

Parce qu’on peut continuer à dire que tout va bien… jusqu’au jour où tout le monde sentira que ça ne sent plus si bon.