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Bordeaux

Municipales 2026 à Bordeaux : sept stratégies, zéro campagne de fond

À Bordeaux, la campagne municipale 2026 se résume pour l’instant à une guerre de stratégies et d’ego, très loin des vrais enjeux du quotidien des Bordelais.

Par Jacques FROISSANT
Publié il y a 15 déc.
7 min de lecture
Municipales 2026 à Bordeaux : sept stratégies, zéro campagne de fond
Municipales 2026 à Bordeaux

À quatre mois des municipales, Bordeaux ressemble moins à une capitale girondine qu’à une table de poker où chacun cache son jeu, bluffe, temporise… et espère que l’adversaire commettra une erreur. Les cartes ne sont pas encore toutes distribuées, mais les postures, elles, sont déjà bien installées. Entre “droite macroniste” revenue droite et en guerre de sondages, majorité sortante fracturée en recherche de légitimité, gauche empêtrée dans ses querelles internes et extrême droite qui tente d’exister, la campagne promet d’être violente, confuse, et parfois désespérément hors-sol des vrais enjeux pour Bordeaux.

Petit tour d’horizon de qui joue quoi, maintenant que les masques tombent.


Nathalie Delattre (MoDem) : l’ancrage local comme pari

Sénatrice de Gironde, ex-ministre du Tourisme, figure centrale du centrisme bordelais et Présidente du PRG, Nathalie Delattre arrive lancée mais déjà en retard. Candidate assumée du centre droit, elle joue sa partition en solo : imposer un sondage, imposer son tempo, et montrer qu’elle n’a besoin de personne surtout pas de Thomas Cazenave.

Mais sa stratégie a un coût : le temps. En politique locale, quatre mois, c’est long… mais les dynamiques se créent maintenant. Et pour l’instant, elle se bat plus pour exister médiatiquement que pour installer un récit politique. Son réseau, réel, peut encore faire la différence. Toutefois, ces derniers jours elle semble s'essouffler dans cette quête face à un camp qui ne rêve que de la pousser à l’union.


Thomas Cazenave (Renaissance) : le favori qui rassemble de plus en plus

C’est aujourd’hui le candidat le plus en position d’emporter Bordeaux. Né et élevé à Bordeaux, Député de la 1ère circonscription, ex ministre et proche de l’Élysée, il coche toutes les cases du favori. Surtout après son rapprochement avec Alexandra Siarri, qui lui a offert une base locale solide. Dernier fait d’armes, la femme de Nicolas Florian, ancien maire décédé subitement, se rallie à la liste Cazenave - Siarri. 

Mais son camp s’imaginait déjà en tête de liste d’une union droite-centre, portée par un sondage unique. Sauf que l’accord n’a jamais été trouvé. Renaissance et le MoDem se sont enfermés dans une guerre d’égos autour du format du sondage. Résultat : une droite pour le moment divisée, brouillon, qui laisse un boulevard à Pierre Hurmic et la gauche sortante.

Cazenave reste favori, oui. Mais un favori empêché : toujours pas de dynamique nette, pas de coalition établie, et un risque réel de voir la campagne se jouer ailleurs que sur son terrain. En particulier, l’étiquette de Macroniste lui colle encore à la peau, même si il fait tout pour s’en distinguer et se centrer sur les vrais enjeux d’avenir pour la ville, en droitisant son programme.


Pierre Hurmic (EELV) : le sortant non déclaré sous tension permanente

Pierre Hurmic part avec un handicap évident : un bilan contesté, y compris dans sa propre majorité. Logement, propreté, mobilité, sécurité, concertations interminables… Bordeaux est aujourd’hui une capitale métropolitaine où le mécontentement est plus audible que l’adhésion. Les électeurs français depuis deux décennies sont plus enclin au “dégagisme” qu’à la “prime au sortant”. 

Pour sa campagne 2026, il veut renouveler sa liste, ouvrir aux personnalités civiles (il est très actif sur le sujet en ce moment), relancer l’élan “citoyen” de 2020. Bonne idée sur le papier. Sauf que rien n’est simple avec une coalition EELV-PS-PC : chacun veut protéger ses sièges, afficher sa ligne, verrouiller les équilibres internes. L’accès de Mathieu Hazouard à la présidence locale du PS relance les ambitions du parti pour contrôler la métropole, où se prennent la plupart des décisions.

Le PC veut intégrer LFI. Le PS refuse catégoriquement. Les Verts veulent rester maîtres du jeu.

Bref : la majorité sortante avance, comme d’habitude, par petites secousses tectoniques. Et l’unité affichée de 2020 semble loin. Peut-être parce qu’en 2026 les chances de réélection sont réelles et aiguisent les appétits des partis. 

Annoncée fin janvier après la valse des voeux du début d’année, sa liste définitive sera révélatrice de la trajectoire d'une campagne qui s’annonce courte.


La gauche institutionnelle (PS – PC – Verts) : l’attelage qui ne sait pas où il va

L’alliance de 2020, qui avait permis à Hurmic de conquérir Bordeaux, peut-elle être reconduite ? Techniquement, oui. Politiquement, c’est une autre histoire.

Le PS veut sécuriser ses positions dans les quartiers clés.Le PC met la pression pour inclure LFI au nom d’une “union de rupture”.Les Verts veulent que rien ne bouge (ou presque).

On parle beaucoup de rapports de force, très peu de propositions pour les Bordelais. Le seul programme clair aujourd’hui ? Préserver chacun son espace vital.


Nordine Raymond (LFI) : un candidat qui bouscule… et paye le prix fort

Comme souvent à LFI, la candidature a été annoncée en dehors de toute discussion avec la majorité sortante. Nordine Raymond, conseiller municipal d’opposition, a donc lancé seul sa campagne ce vendredi 5 décembre. Et sa seule présence sur la ligne de départ suffit à faire exploser les tentatives d’alliance élargie à gauche. Disciple de Philippe Poutou, dont il a été le collaborateur, il a de qui tenir. 

Mais le vrai scandale est ailleurs : plus de 2 000 messages racistes reçus en quelques jours après sa déclaration, selon son équipe. Un torrent de haine ignoble, alimenté par les réseaux d'extrême droite, dénoncé publiquement par plusieurs élus bordelais, dont Pierre Hurmic et Thierry Trijoulet. La campagne 2026 démarre dans une ambiance politique qui vire parfois au nauséabond.


Le RN : la stratégie de la tête de pont métropolitaine

C’est la moins bordelaise des candidats. Produit type du RN, sa candidature est scrutée, parce stratégique pour le parti de Marine Le Pen. Julie Rechagneux, eurodéputée, élue à Lormont depuis peu (les habitants apprécieront son abandon pour Bordeaux), venue de Clermont-Ferrand, incarne le profil type du cadre RN “nouvelle génération”. Avec un passif qui remonte toutefois à la surface : StreetPress a révélé des accointances avec des militants néonazis dans sa trajectoire passée.

Le RN rêve d’un coup à Bordeaux. Pas pour gagner la mairie, impossible, mais pour passer la barre des 10 %, entrer au conseil métropolitain, et s’implanter durablement. Le parti aligne déjà des candidats à Pessac, Eysines, Saint-Médard-en-Jalles, Le Bouscat. Une montée en puissance assumée. Le pari va être difficile entre son étiquette, sa méconnaissance de Bordeaux, et son passé. 


Philippe Dessertine : l’ovni de la campagne

Économiste, habitué des plateaux télé, “dessertinéen” dans le verbe et dans le style, Philippe Dessertine s’est lancé en mode solo. Une sorte de candidature-marque personnelle, très axée storytelling, identité, présence médiatique. La rumeur insistante et non vérifiée distille un potentiel financement de sa campagne par une entité de la galaxie Sterin…

Pour l’instant, ni programme municipal lisible, ni équipe constituée, ni implantation locale claire. Mais des intentions de vote selon un sondage récent qui l’amène à plus de 10%. Un moyen de se faire une place entre les deux tours. 

Son rôle dans l’équation politique bordelaise ? Une énigme. Peut-il siphonner une partie du vote centre-droit ? Difficile à dire. Peut-il peser au premier tour ? Pas impossible. Peut-il faire basculer l’entre-deux tours ? Probable si la promesse du premier sondage ne s’étiole pas dans le temps..

Un candidat à surveiller, précisément parce qu’on ne sait pas encore ce qu’il est venu chercher.


La vraie question : et si Bordeaux se décidait, enfin, à parler des sujets qui fâchent ?

Logement inaccessible. Centre-ville qui se vide. Propreté qui dérape. Tourisme urbain en surtension. Crises de mobilité. Paupérisation des quartiers populaires. Prix du foncier en orbite. Les sujets sont nombreux alors que la plus part ne parle que de politique et de sécurité. Le tout dans une métropole de 820 000 habitants où la dynamique démographique ralentit (source : INSEE, études 2023 et 2024), et où les choix politiques n’ont jamais été aussi structurants.

Et pourtant, que voit-on depuis septembre ? Une bataille de sondages, des ego, des alliances éclatées, et des partis plus concentrés sur leur place que sur le quotidien des Bordelais.

Il serait peut-être temps que la campagne commence. La vraie. Celle qui parle de Bordeaux, pas de ceux qui veulent la diriger.

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Par Jacques FROISSANT

Directeur de la publication

Bordelais, œnologue, tout allait bien… jusqu’à ce que je dérape dans l’entrepreneuriat RH pour les startups. 😉 Auteur et chroniqueur (L’Express, FrenchWeb, France 3 NOA...), je suis aujourd’hui cofondateur et rédacteur en chef d’AQUI.Media

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