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Économie

French Tech Bordeaux : pourquoi la Nouvelle-Aquitaine est la grande oubliée du financement

Malgré un écosystème actif, de nombreux atouts, la French Tech de Nouvelle-Aquitaine ne produit pas de scale-up et reste boudée par les investisseurs.

Par Jacques FROISSANT
Publié il y a 4 nov.
5 min de lecture
French Tech Bordeaux : pourquoi la Nouvelle-Aquitaine est la grande oubliée du financement
French Tech Bordeaux

La région affiche plus de 800 start-ups et 12 000 emplois dans le numérique et l’innovation. Mais malgré une vitalité incontestable — IA, santé, greentech, deeptech — la French Tech Bordeaux Nouvelle-Aquitaine reste marginale dans les flux de capitaux.
Le tout dernier Panorama de la French Tech 2025 enfonce le clou : la province bosse, Paris encaisse.

Un écosystème qui s’étend, mais pas qui s’émancipe

Sur le papier, la French Tech se porte bien. En 2025, la France compte près de 18 000 start-ups actives, et plus de la moitié — 56 % — évoluent désormais hors Île-de-France. Un basculement historique...qui reste trompeur.
Car cela ne suit pas dès qu’on parle d'argent : 47 % des financements restent concentrés à Paris. Dans l’IA, seuls 7 % des fonds atteignent les régions, alors que 44 % des start-ups IA y naissent.

« Il est urgent de rééquilibrer ces soutiens pour donner aux territoires les moyens de créer leurs champions », confie Julie Huguet, directrice de la Mission French Tech.

Une phrase polie pour dire que la décentralisation de la French Tech reste largement un mirage : les territoires innovent, mais la finance ne suit pas.
Et l’écosystème reste prisonnier de son nombril francilien : la French Tech parle local, mais pense parisien. Le constat est sans appel : les startups qui réussissent, les fameuses licornes, sont pour l'essentiel à Paris.

Nouvelle-Aquitaine : la force tranquille… sous-financée

Avec 847 start-ups, 12 000 emplois et une croissance semestrielle de +5,1 %, la région figure parmi les plus dynamiques de France. Bordeaux est même citée dans le Panorama parmi les “hubs d’excellence IA”, aux côtés de Grenoble, Toulouse et Rennes.

Mais les chiffres des levées de fonds refroidissent l’enthousiasme :
environ 70 millions d’euros levés sur les neuf premiers mois de 2025, contre 170 M€ en Occitanie et 291 M€ en Rhône-Alpes.

Comme le relevait AQUI Media dans son enquête French Tech Nouvelle-Aquitaine : fin de l’illusion, le deuxième trimestre 2025 est catastrophique, avec à peine 45 M€ levés pour six deals, concentrés sur trois “locomotives” (TreeFrog Therapeutics, EnerVivo, Germitec).
Le reste de l’écosystème rame, faute de moyens pour passer du seed à la série A.

Le nerf de la guerre : le capital reste francilien

Au total, 23,8 milliards d’euros ont été levés par 85 fonds d’investissement actifs en 2025. Pour la plupart… parisiens. Les fonds régionaux pèsent encore très peu et de toute façon n'ont pas les moyens autres que faire du "seed capital" ou accompagner un premier tour dont le lead est un gros investisseur parisien.
Les séries B et C+ restent quasi exclusivement franciliennes, conséquence directe du “post-Covid shift” : la préférence pour les gros tickets et les deals proches des sièges des investisseurs. Et désormais, compte tenu de la crise, l'argent plus rare est clairement concentré à Paris.

RégionMontant levé (€ M)Croissance emploi
Île-de-France4 221+3,5 %
Rhône-Alpes291+4,6 %
Occitanie170+5,0 %
Nouvelle-Aquitaine70+5,1 %
“Les start-ups régionales sont de bons élèves de l’amorçage, mais jamais invitées à la table des grands.” insiste le partner d'un fonds d'investissement.

Bordeaux : belle endormie ou future capitale d’une French Tech responsable ?

Oui, Paris rafle les levées. Mais réduire le problème à l’argent, c’est passer à côté du fond : le vrai déficit est culturel.

La Nouvelle-Aquitaine a tout : une capitale French Tech labellisée, des incubateurs solides (Unitec, Héméra, Technowest...), une recherche IA et Deeptech de premier plan (LaBRI, Inria, Université de Bordeaux), et des filières puissantes : santé, énergie, spatial, agro, maritime.

Alors pourquoi ça ne décolle pas ?

Parce que l’écosystème local s’exprime dans la sobriété, parfois la timidité. On parle d’impact, de durabilité, de rentabilité, de santé mentale des dirigeants — rarement de scalabilité ou de prise de risque. Une philosophie saine… jusqu’à devenir un frein.

Comme le rappelait AQUI Media dans son article FrenchWeb Top 100 des recruteurs 2025 : Bordeaux absent, aucune start-up bordelaise n’apparaît dans le classement national des grands recruteurs Tech. Aucune !
Preuve d’un écosystème plus besogneux que conquérant. Les start-ups naissent, se structurent, mais ne revendiquent rien.

“À Bordeaux, on cultive les start-ups comme un bon vin : avec soin, patience… et un manque total d’urgence. Être reconnu localement, c’est bien. Mais dans la tech, viser moins que le monde, c’est déjà perdre la partie.” — tranche un investisseur parisien.

French Tech Bordeaux : solide, sobre… mais trop sage ?

Ce n’est pas d’un nouveau fonds dont la région a besoin, mais d’un récit collectif.
Un récit qui relie IA, mer, vin, santé et énergie, pour construire une “Bordeaux Tech” à la fois responsable et conquérante.
Un récit qui assume une ambition nationale : des levées visibles, des sièges, des exportations, des modèles. Le récent exemple de la réussite de Betclic devenu fleuron mondial des paris en ligne depuis Bordeaux, devrait inspirer davantage.

Et surtout, il faut briser l’entre-soi : réunir investisseurs, collectivités et entrepreneurs autour d’une vision offensive, pas d’une sobriété subventionnée.

“La French Tech Bordeaux se rêve nationale.
Elle ne le sera que quand les startups de la région lèveront autant que Station F — et oseront le dire.”


📚 Sources

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Par Jacques FROISSANT

Directeur de la publication

Bordelais, œnologue, tout allait bien… jusqu’à ce que je dérape dans l’entrepreneuriat RH pour les startups. 😉 Auteur et chroniqueur (L’Express, FrenchWeb, France 3 NOA...), je suis aujourd’hui cofondateur et rédacteur en chef d’AQUI.Media

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