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RH Management

IA : votre futur manager ?Épisode 4 – RH et recrutement : quand l’IA trie les candidats

L’IA s’impose dans le recrutement : tri des CV, agents vocaux, sourcing automatisé. Mais que devient l’humain dans ce processus ?

Par Jacques FROISSANT
Publié il y a 3 oct.
10 min de lecture
IA : votre futur manager ?Épisode 4 – RH et recrutement : quand l’IA trie les candidats
RH et recrutement : quand l’IA trie les candidats @Aqui.Media

Dix enquêtes pour comprendre la transformation souterraine par l'IA du monde du travail. Derrière les open spaces, les emplois fragiles, les syndicats perdus et le contrat social en recomposition, Aqui.Media met en lumière l’impact réel de l’IA générative.

Épisode 4 – RH et recrutement : quand l’IA trie les candidats

Des robots qui appellent vos candidats. Des algorithmes qui rédigent vos annonces. Des ATS qui filtrent vos CV. En moins de deux ans, nous avons vu l’intelligence artificielle s'installer au cœur du recrutement. La promesse : gagner du temps, réduire les coûts, être plus qualitatif, améliorer l’expérience candidat. Mais derrière l’efficacité, une question : que devient l’humain dans ce processus ?

Les DRH au pied du mur

Longtemps jugée conservatrice, la fonction RH est aujourd’hui un laboratoire d’IA. Le Baromètre Parlons RH 2025 le confirme : 83 % des professionnels RH ont déjà recours à l’IA à titre individuel. Leurs usages sont concentrés sur la rédaction de job descriptions ou d'offres d’emploi, et de plus en plus pour analyser des candidatures. Mais côté entreprises, seule une minorité ose une intégration officielle.

« Les DRH bricolent beaucoup : 83 % l’utilisent individuellement, mais moins d’un tiers a un plan structuré », résume le Baromètre Parlons RH 2025.

La tentation est grande : réduire le temps passé à trier des CV, automatiser les relances, industrialiser le sourcing. Mais cette automatisation à marche forcée pose une question brutale : où passe encore l’humain dans le processus ?

LinkedIn, la machine planétaire à sourcer

C’est peut-être le changement le plus massif, et il ne vient pas d’une start-up mais du géant mondial du recrutement : LinkedIn. Filiale de Microsoft (investisseur important d’OpenAI), le réseau a intégré un agent recruteur IA capable de scanner les profils, de suggérer des candidats et même de générer des messages d’approche personnalisés. 

« Notre agent IA ne remplace pas le recruteur : il libère du temps pour se concentrer sur l’essentiel, la relation humaine », assure LinkedIn.

Des cabinets de recrutement comme Altaïde, spécialiste du recrutement Digital, l’utilise tous les jours. Ainsi, pour les recruteurs, c’est un gain de temps colossal. Pour les candidats, c’est une autre histoire : le risque d’une sur-sélection algorithmique qui favorise les profils standards et invisibilise les atypiques.

Volubile + Lila : le coup de fil d’une IA humaine

En France, l’exemple le plus frappant vient de Volubile.ai. Sa nouvelle verticale “RH & Recrutement” propose un agent vocal qui appelle les candidats, pose les questions clés, enregistre et analyse les réponses, puis envoie une synthèse au recruteur.

Le tout est branché directement sur Lila, l’ATS du Figaro Classifieds, déjà doté d’outils de multidiffusion et de scoring IA. L'efficacité est surprenante : des centaines de candidatures préqualifiées en un temps record, sans qu’aucun humain n’ait décroché son téléphone.

Mais n’imaginez pas un robot vocal, basé sur des scripts préconçus, comme on en connaît encore beaucoup. La solution de Volubile est un véritable agent IA, capable de tenir une conversation, et dont on peut paramétrer le ton de voix, l’ambiance sonore (open space, bureau fermé, et pourquoi pas un fond sonore de ville par la fenêtre entrouverte). Bluffant !

« Nous ne voulons pas remplacer le recruteur, mais lui éviter des centaines de coups de fil inutiles », explique Stéphanie Delestre la CEO de Volubile.

Quels outils IA dans la panoplie des recruteurs ?

L’IA dans le recrutement n’est plus un gadget : c’est devenu une boîte à outils complète, avec des briques généralistes et d’autres ultra-ciblées. Le marché explose, pas une journée sans nouvelles annonces. Voici, au-delà de ceux déjà évoqués, les solutions parmi les plus utilisées. 

  • ChatGPT, Mistral, Claude et autres LLM : massivement utilisés en “shadow mode” par les recruteurs eux-mêmes. Pour rédiger une annonce, structurer un mail, préparer une grille d’entretien ou traduire un profil, l’IA conversationnelle est déjà le couteau suisse du quotidien.
  • Otter, Fireflies, Notta, Microsoft Teams (Copilot) : ces outils de transcription et de résumé automatiques transforment les entretiens en notes exploitables. Plus besoin de passer une heure à rédiger son compte rendu : la machine livre verbatims et synthèses prêtes à partager.
  • Welcome to the Jungle : sa brique IA de sourcing génère des messages d’approche personnalisés et revendique jusqu’à 40 % de taux de réponse.
  • Kalent.ai : 100 millions de profils enrichis (mails, numéros), et un agent conversationnel d’outreach multicanal (LinkedIn, WhatsApp, email).Eightfold.ai (US) : référence mondiale du Talent Intelligence : matching, mobilité interne, prévisions de compétences.
  • Paradox / Olivia (US) : l’agent conversationnel qui discute avec les candidats, collecte les infos clés et planifie les entretiens. Déjà utilisé par McDonald’s et Unilever.
  • HireVue (US) : pionnier des entretiens vidéo assistés par IA, capable d’analyser voix, langage et expressions faciales. Puissant mais controversé, accusé de biais discriminatoires.
  • Textkernel (Europe) : expert du parsing et du matching sémantique, utilisé en back-office par de grands acteurs de l’intérim et de l’ATS.
  • AssessFirst VOICE (France) : l’étape suivante. L’IA mène un entretien vocal, adapte ses questions en temps réel et score les réponses (soft skills, langues). « En confiant les entretiens de présélection à une IA, nos clients économisent jusqu’à 80 jours par an », affirme AssessFirst.
  • La liste est très longue encore et s’enrichit en permanence. 

Le recruteur de 2025 jongle donc entre son copilote généraliste (ChatGPT), ses outils de transcription en temps réel (Otter, Fireflies, Notta, Teams), ses ATS boostés à l’IA, son Linkedin, et une constellation de solutions spécialisées qui automatisent chaque étape : sourcing, préqualification, entretiens, scoring.

Les candidats aussi se dopent à l’IA

Le phénomène n’est pas unilatéral. Côté candidats, l’IA est devenue un réflexe : 77 % des demandeurs d’emploi en France ont déjà utilisé un outil IA pour rédiger CV, lettres ou simuler un entretien (Observatoire Diversidays 2025). Leurs outils principaux sont ChatGPT pour rédiger CV et lettre de candidature suite à annonce, et Canva pour mettre en forme. Là aussi il existe des outils spécialisés comme HelloCV. 

« 77 % des candidats utilisent déjà l’IA pour candidater. Mais un sur deux craint de perdre le lien humain dans le processus », souligne l’étude.

Le risque vers lequel on court, c’est un duel d’IA : recruteurs augmentés face à candidats augmentés. Et au milieu, le risque d’une standardisation où plus personne ne se distingue.

Quelles sont les limites de l’IA en recrutement ? 

Derrière l’enthousiasme et les promesses de gain de temps, l’IA soulève des angles morts bien réels. Les recruteurs eux-mêmes le reconnaissent : l’algorithme ne fait pas tout, et parfois il ajoute plus d’opacité qu’il n’en enlève.

  • Biais et opacité : les algorithmes sélectionnent, mais selon quels critères ? « Le risque, c’est que l’IA devienne une boîte noire. On ne sait plus pourquoi un candidat est écarté… et personne n’assume », confie un DRH interrogé par Les Échos.
  • Confidentialité : les outils d’enrichissement de données (téléphones, emails, historiques) flirtent avec les limites du RGPD.
  • Fractures générationnelles : les jeunes utilisent l’IA massivement, quand les plus de 50 ans se retrouvent souvent désarmés. L’Observatoire Diversidays 2025 confirme que si 77 % des candidats utilisent déjà l’IA, ils sont 55 % à craindre la perte du lien humain et 47 % à redouter des problèmes de confidentialité. Les plus de 50 ans sont les plus sceptiques : la fracture numérique devient aussi une fracture de l’emploi.

Les usages démarrent mais on navigue encore en eau trouble. 

Quelle place reste-t'il à l’humain face à l’IA dans les process de recrutement ?

Pas dans le tri de masse, ni dans les relances automatiques – ces tâches sont déjà en train de basculer vers l’IA. L’humain reste là où l’algorithme échoue :

  • Détecter le potentiel : un CV atypique, un parcours cassé, une reconversion qui ne rentre pas dans les cases.
  • Évaluer la sincérité : comprendre une motivation, sentir l’énergie ou la cohérence d’un discours.
  • Construire la relation : donner envie au candidat de rejoindre une aventure, incarner la culture d’entreprise, répondre à ce qui ne se lit pas dans une fiche de poste.
  • Décider en conscience : assumer le choix final, au-delà du scoring, et être capable de le justifier.

Bref, l’humain se déplace : moins de tâches administratives, plus d’intuition et surtout de relationnel. En termes de recrutement, la rencontre, le feeling entre un candidat potentiel et une entreprise reste déterminant. Dans un contexte de compétition pour capter les meilleurs talents, un recruteur qui peut passer plus de temps à échanger, parler de la culture d’entreprises, donner envie…aura plus de chance de capter les meilleurs candidats pour son entreprise. 

Mais si les recruteurs se contentent d’appuyer sur “suivant” dans leurs outils IA, alors oui, ils se rendent eux-mêmes invisibles et leur rôle disparaitra.

Vers un nouveau métier RH ?

Recruter demain, ce ne sera pas seulement “savoir évaluer un candidat”, mais aussi savoir paramétrer un agent conversationnel, lire un scoring algorithmique, calibrer un prompt. L’IA ne supprime pas le recruteur : elle le reconfigure.

Le danger n’est pas dans l’outil, mais dans l’abdication : si les DRH ou les recruteurs laissent l’IA choisir sans contrôle, alors oui, l’humain disparaît. Mais s’ils reprennent la main, l’IA peut être un filtre d’efficacité qui libère du temps pour l’essentiel : comprendre une trajectoire, évaluer une personnalité, miser sur un potentiel.

Et au fond, c’est peut-être le vrai défi : l’IA ne volera pas le job des recruteurs… mais leur demandera enfin de faire le leur.


À lire aussi – IA : votre futur manager ?

Cette enquête fait partie de notre série “IA : votre futur manager ? – Dix enquêtes sur la révolution silencieuse qui redessine le travail”, publiée par Aqui.Media.

Déjà publié :

Vous lisez actuellement :

  • Épisode 4 : RH et recrutement - Quand l’IA trie les candidats

À venir :

  • Épisode 5 : La guerre des compétences – Ne pas “parler IA” devient un handicap mortel
  • Épisode 6 : Syndicats et DRH – Comment négocier avec une boîte noire ?
  • Épisode 7 : Créativité vs intox – Génie sous stéroïdes ou fake news industrielles ?
  • Épisode 8 : Burn-out de l’humain lent – Survivre au rythme imposé par la machine
  • Épisode 9 : Les petites mains de l’IA – Derrière les algos, une armée d’ouvriers précaires
  • Épisode 10 : Contrat social 2.0 ? – Taxer, réguler ou partager la valeur de l’IA

FAQ IA et Recrutement

Comment l’IA transforme-t-elle le recrutement ?

L’IA accélère le tri des CV, automatise la rédaction d’annonces et la préqualification des candidats. Elle libère du temps mais pose des enjeux d’éthique et de transparence.

Quels sont les outils d’IA les plus utilisés par les recruteurs ?

ChatGPT, Otter, Fireflies, Notta, Teams Copilot, ainsi que des solutions spécialisées comme Welcome to the Jungle, Kalent, Eightfold, Paradox, HireVue, Textkernel ou AssessFirst VOICE.

L’IA dans le recrutement est-elle fiable ?

Elle est efficace pour automatiser les tâches répétitives, mais reste limitée par les biais algorithmiques et le manque de transparence. L’humain doit garder la main sur la décision finale.

Quels risques comporte l’IA en RH ?

Les principaux risques sont les biais de sélection, l’opacité des critères, la confidentialité des données et la fracture générationnelle entre candidats jeunes et seniors.

Quelle place reste-t-il à l’humain dans le recrutement avec l'IA ?

L’humain reste indispensable pour détecter le potentiel, juger la sincérité, incarner la culture d’entreprise et assumer les choix finaux.