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Économie

Comment la Nouvelle-Aquitaine a troqué ses usines pour des open spaces ?

En trente ans, la Nouvelle-Aquitaine s’est profondément tertiarisée, perdant nombre d’usines mais amorçant une réindustrialisation autour des filières vertes et technologiques.

Par la rédaction
Publié il y a 13 oct.
5 min de lecture

En trente ans, la Nouvelle-Aquitaine a vu fondre ses emplois industriels pendant que les services, le numérique et le tourisme explosaient.
De Ford à Blanquefort à HDF Energy, la région bascule d’une économie d’usines à celle des open spaces – non sans fractures. Derrière cette tertiarisation massive, un nouveau pari industriel se dessine : celui d’une réindustrialisation verte et décarbonée.

Une mutation en profondeur de l'emploi

Le secteur tertiaire s’est fortement développé tandis que l’emploi industriel a décliné en volume et en poids relatif. Entre 1989 et 2019, le tertiaire a gagné environ 200 000 emplois dans la région (+35,6 %), porté par l’administration publique, l’intérim, les services aux entreprises, le tourisme et les activités numériques et scientifiques.

En parallèle, l’industrie reste présente mais moins prépondérante : fin 2018, on comptait environ 285 000 emplois industriels en Nouvelle-Aquitaine, un niveau qui illustre à la fois la persistance d’activités manufacturières locales et la perte d’emplois par rapport aux décennies précédentes. Globalement, la région a suivi la trajectoire nationale de désindustrialisation, même si certains secteurs et territoires locaux ont mieux résisté.

Les Landes, la Charente, le Pays basque ou la Haute-Saintonge continuent d’abriter un tissu manufacturier dense. Mais globalement, le centre de gravité économique s’est déplacé vers les grandes agglomérations et les services.

Pourquoi la tertiarisation s’est-elle accélérée ?

Plusieurs dynamiques se croisent depuis les années 1990 :

  • Les gains de productivité et l’automatisation dans l’industrie, qui réduisent l’emploi pour un même niveau de production.
  • La mondialisation et la délocalisation de certains segments de production à plus faible valeur ajoutée.
  • L’essor des services (santé, éducation, services aux entreprises, tourisme), qui ont massivement créé des emplois, notamment dans les agglomérations et les zones littorales.

L’emploi s’est concentré autour de Bordeaux, Pau, La Rochelle ou Bayonne.
Les villes deviennent les moteurs économiques d’une région qui s’était longtemps construite sur ses usines, ses forêts et ses vignes.

Quand les usines ferment : symboles d’une désindustrialisation

La désindustrialisation s’est incarnée dans des fermetures d’usines emblématiques. Certaines ont marqué durablement la mémoire locale :

  • Ford à Blanquefort (Gironde) : l’usine de boîtes de vitesses a fermé en 2019, avec environ 850 salariés concernés. Ce fut l’un des symboles de la fin de l’automobile en Gironde. Un séisme pour toute la métropole bordelaise.
  • Magna / Mutares sur le même site : repris par le fonds d’investissement allemand Mutares, le site a réduit ses effectifs de 740 à environ 430 salariés, avec encore 197 suppressions prévues.
  • Steris au Haillan (Gironde) : plan social annoncé en 2025, visant 96 emplois sur 246 dans le secteur du matériel médical.
  • LSI (ex-GM&S) à La Souterraine (Creuse) : le site de sous-traitance automobile est passé de 277 salariés en 2017 à environ 120 après redressement, avec de nouvelles menaces de fermeture en 2021.

Ces exemples traduisent la fragilité de filières entières : automobile, mécanique, sous-traitance. Et rappellent combien la désindustrialisation frappe d’abord les territoires ruraux ou périurbains.

Ouvertures et projets industriels récents

Depuis quelques années, la tendance s’inverse timidement. La région connaît des signaux de réindustrialisation et des implantations nouvelles, souvent dans des secteurs d’avenir :

  • HDF Energy à Blanquefort (Gironde) : usine de production de piles à combustible hydrogène, avec environ 500 emplois attendus.
  • Elixir Aircraft à Aytré (Charente-Maritime) : construction d’un atelier pour fuselages et gouvernes en matériaux composites, visant 400 emplois.
  • Aquitaine Électronique à Serres-Castets (Pyrénées-Atlantiques) : nouveau bâtiment sur friche industrielle pour production électronique embarquée.
  • Ryam à Tartas (Landes) : extension de l’usine pour une bioraffinerie produisant du bioéthanol cellulosique à partir du pin landais.
  • DRT à Vielle-Saint-Girons (Landes) : nouvelle ligne de production de résines biosourcées pour chimie verte et cosmétique.

Selon le baromètre industriel de l’État, la Nouvelle-Aquitaine a enregistré 13 ouvertures nettes d’usines au premier semestre 2024 et 24 sur l’ensemble de l’année, se classant deuxième région française pour les créations nettes de sites industriels.

Conséquences sociales et défis

La tertiarisation a changé la nature du travail et la géographie de l’emploi :

  • Elle crée des emplois dans les services, mais souvent plus précaires (intérim, saisonnier).
  • Elle creuse des inégalités territoriales : les zones urbaines et littorales profitent de la dynamique tertiaire, tandis que certains bassins d’emploi industriels ruraux peinent à se reconvertir.
  • Elle impose une montée en compétences : les nouveaux projets industriels requièrent des profils techniques pointus.

L’enjeu devient celui de la formation et de la reconversion : comment faire évoluer les salariés de l’ancienne industrie vers les métiers de la transition énergétique, du numérique ou de la production décarbonée ?

Pistes pour l’avenir : réinventer le modèle productif régional

Pour tirer parti de cette recomposition et éviter une désindustrialisation irréversible, plusieurs leviers se dessinent :

  • Investir dans la formation et l’adaptation des compétences pour les métiers de l’industrie 4.0 et de l’économie verte.
  • Réhabiliter les friches industrielles pour faciliter l’implantation de nouvelles usines.
  • Soutenir les filières stratégiques (mobilité, aéronautique, hydrogène, agroalimentaire de qualité) avec des aides ciblées et des pôles de compétitivité.
  • Développer des écoparcs industriels et favoriser la réindustrialisation bas-carbone pour répondre aux enjeux climatiques et attirer les investisseurs.

Une région entre deux mondes

La Nouvelle-Aquitaine s’est profondément tertiarisée en trente ans, avec une croissance forte de l’emploi dans les services. Mais la désindustrialisation n’est pas une fatalité : les projets récents de Blanquefort, Aytré ou Tartas montrent que la région peut redevenir un territoire d’implantation industrielle, à condition de miser sur l’innovation, la formation et la valorisation de ses atouts logistiques et humains.

La région a perdu des usines, pas son savoir-faire.
Reste à transformer ses réussites locales en stratégie durable, pour que la Nouvelle-Aquitaine ne soit pas seulement la région du tourisme et du vin — mais aussi celle d’une réindustrialisation verte, créatrice d’emplois et de sens.

👉 À lire aussi : L'exemple d'Elixir Aircraft à La Rochelle.

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