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Politique

Comment la “drogue dure” des DMTO a-t-elle mené la Gironde vers un déficit de 97,7 millions ?

Sous perfusion des recettes immobilières à travers les DMTO, la Gironde affiche 97,7 M€ de déficit. Analyse d’une dépendance devenue toxique.

Par Jacques FROISSANT
Publié il y a 14 oct.
6 min de lecture
Comment la “drogue dure” des DMTO a-t-elle mené la Gironde vers un déficit de 97,7 millions ?
Conseil départemental de la Gironde

Longtemps dopée par les recettes immobilières, la Gironde découvre la gueule de bois budgétaire. Avec 97,7 millions d’euros de déficit, le Département paie aujourd’hui sa dépendance aux DMTO, ces “frais de notaire” qui faisaient sa richesse… jusqu’à la crise.

Un déficit historique de 97,7 millions d’euros

Le Département de la Gironde s’apprête à voter un budget supplémentaire 2025 en déficit de 97,7 millions d’euros. Une première dans l’histoire de la collectivité, assumée comme temporaire par le président du Département Jean-Luc Gleyze.En 2024 déjà, le déficit budgétaire total du Département était devenu négatif (-52,7 M€), signe d’un modèle sous tension. Cette fois, la chute est brutale : moins de recettes, plus de dépenses, et une marge de manœuvre quasi nulle.

Le Département promet un plan de redressement sur trois ans, pour éviter toute mise sous tutelle par la Chambre régionale des comptes. Mais comment un territoire réputé prospère et dynamique comme le Département de la Gironde en est-il arrivé là ?

Un symptôme national : l’effet ciseaux des Départements

La Gironde n’est pas seule dans la tourmente. En 2025, quinze départements français figurent sur la liste rouge dressée par la Cour des comptes : Charente (déjà sous tutelle), Nord, Pas-de-Calais, Hérault, Loire-Atlantique, Aisne, ou encore Dordogne.Tous sont frappés par le même mal : un effet ciseaux budgétaire où les recettes plongent pendant que les dépenses sociales explosent.

La chute des recettes

Entre 2022 et 2024, les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) — ces fameux « frais de notaire » sur les ventes immobilières — ont fondu d’environ 23 % au niveau national, soit près de 2 milliards € de moins pour les départements.En Gironde, cette manne est passée de 550 M€ en 2022 à 342 M€ en 2024, une baisse de 40 %. Même le relèvement du taux maximal de 4,5 % à 5 % (voté fin 2024) ne compense qu’à la marge : +14 M€ espérés, un pansement sur une fracture ouverte.

La hausse des charges sociales

En parallèle, les dépenses d’action sociale progressent de +6 % par an : RSA, protection de l’enfance, personnes âgées, handicap… Le vieillissement démographique et la précarité post-Covid pèsent lourdement sur les budgets départementaux. En Gironde, l’aide sociale représente désormais plus de 60 % du budget de fonctionnement, et continue de grimper.

Ainsi, le budget est pris en étau, incapable d’absorber les chocs conjoncturels. La Gironde, pourtant territoire attractif et fiscalement solide, n’échappe pas à la mécanique nationale.

DMTO, la drogue dure des Départements

Les DMTO ou Droits de Mutation à Titre Onéreux, sont le nerf de la guerre… et le talon d’Achille des départements.Pendant les années fastes du marché immobilier (2018-2022), les DMTO ont permis aux collectivités d’afficher une santé artificiellement éclatante. Chaque vente de maison, chaque transaction gonflait les recettes sans effort fiscal visible pour l’électeur. Certains départements, et de nombreuses communes ont bâti leur équilibre sur cette ressource volatile. La prudence aurait été de n’en porter au budget qu’une partie et garder le surplus pour les coups durs ou situations exceptionnelles. 

La Gironde, portée par la dynamique bordelaise et celle du Bassin d’Arcachon, en a largement profité. Mais le retournement du marché immobilier a stoppé net la perfusion.

“Les DMTO, c’est comme une drogue dure : euphorisante en période de boom, mais destructrice quand le marché s’effondre”, glisse un ancien directeur financier d’un département voisin.

D’autant que le mécanisme est pervers : quand l’immobilier ralentit, les besoins sociaux (aides au logement, RSA, etc.) augmentent, creusant encore le déficit. L’État tente bien de lisser les écarts via un fonds de péréquation, mais celui-ci est lui-même en recul : –120 M€ redistribués en 2025.

Comment la Gironde en est arrivée là

Trois moteurs expliquent le plongeon girondin.

1. Une chute brutale des recettes immobilières

On l’a vu, les DMTO représentaient un gros volume de recettes pour le Département. Leur effondrement en deux ans a créé un trou de 200 millions €, que ni la fiscalité, ni les subventions d’État ne compensent.

2. Des dépenses sociales rigides et en hausse

Le RSA, la protection de l’enfance ou les allocations aux personnes handicapées sont des compétences obligatoires et peu compressibles.À la moindre variation de recettes, c’est donc l’épargne brute qui s’effondre, puis les investissements qui trinquent. En 2025, 106 M€ de dépenses ont été supprimées ou reportées, dont la construction de deux collèges. L’éducation trinque encore…

3. Un manque d’anticipation collective

Le retournement du marché immobilier était prévisible depuis fin 2022. Pourtant, peu de départements ont intégré cette variable dans leurs projections.La Gironde a certes relevé son taux DMTO au plafond légal, mais tardivement, et sans scénario de repli alternatif.

La Gironde présente donc un budget supplémentaire 2025 en déséquilibre, juridiquement fragile (puisque la loi impose l’équilibre), mais politiquement assumé comme un passage obligé avant retour à meilleure fortune.

Sortir de la spirale : quelles marges de manœuvre ?

Pour éviter la mise sous tutelle, la Gironde prépare un plan triennal articulé autour de trois axes : redressement de la trajectoire d’épargne, maîtrise des dépenses nouvelles, et priorisation stricte des investissements.

Mais les leviers restent limités. Augmenter les DMTO ? Déjà fait. Réduire les dépenses ? Au risque d’abandonner les plus fragiles. Compter sur l’État ? La dotation globale de fonctionnement stagne et l’Etat est lui-même en déficit chronique. 

À moyen terme, c’est le modèle même du financement départemental qu’il faudra repenser : plus de fiscalité stable, moins de dépendance à l’immobilier, et une péréquation nationale réelle.

“Le modèle départemental est à bout de souffle. Il faut arrêter de financer le social avec l’aléa des ventes de maisons”, confie un expert du sujet.

Du miracle girondin au mirage

Ce déficit girondin n’est pas une faillite : c’est un réveil brutal.Celui d’un Département qui s’est cru solide parce qu’il était peuplé, attractif, et gavé de recettes immobilières. Mais la croissance ne protège de rien quand le modèle repose sur du sable.

La Gironde découvre qu’on peut être riche de flux et pauvre de fondations. Premier département démographique de France, elle paie aujourd’hui le prix d’un système dépendant des aléas du marché et des compromis politiques à courte vue.

Et si ces 97,7 millions de déficit étaient finalement une chance ? Celle de remettre à plat un modèle à bout de souffle, où l’on finance la solidarité avec la spéculation. Car sans réforme courageuse, c’est tout l’édifice départemental qui menace de s’effondrer au prochain choc économique.

Un avertissement de plus, enfin, pour un État usé par les querelles de chapell - incapable de bâtir un consensus intelligent - celui dont on aurait justement besoin quand la maison brûle.


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