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Environnement

Érosion littorale en Nouvelle-Aquitaine: pourquoi l’inaction va coûter des milliards

Le littoral néo-aquitan recule, l’État tergiverse, les maires freinent. Entre PPRL contestés, foncier sacralisé et érosion accélérée, la facture se chiffre déjà en milliards. Et la mer, elle, n’attend personne.

Par Jacques FROISSANT
Publié il y a 5 déc.
8 min de lecture
Érosion littorale en Nouvelle-Aquitaine: pourquoi l’inaction va coûter des milliards
À La Teste-de-Buch, les plages du Petit Nice et de la Lagune ont reculé de plus de 60 mètres en dix ans. Et l’érosion pourrait atteindre la route vers Biscarosse d’ici dix ans.

La côte atlantique s’effrite, tout le monde le voit, mais personne ne veut en tirer les conséquences. L'érosion littorale en Nouvelle-Aquitaine n’est plus un risque abstrait, c’est un compte à rebours budgétaire. Et l’addition se présente déjà : d’ici 2050, plus de 6 000 logements, 723 activités et 122 équipements publics pourraient être directement menacés, pour une valeur estimée entre 1,8 et 2,7 milliards d’euros selon la Cour des Comptes. On ne parle pas d’un scénario catastrophe, mais d’une trajectoire connue, documentée, et toujours repoussée.

Un littoral qui s’effondre, des décisions qui s’enlisent

La façade atlantique avance, recule, respire. Rien de nouveau. Ce qui l’est, en revanche, c’est l’écart entre ce que les rapports établissent et ce que la puissance publique engage réellement. Chaque publication de la Cour des Comptes, chaque note du ministère, chaque étude scientifique raconte la même histoire : le littoral se transforme plus vite que la politique ne l’admet.

En Gironde le recul du trait de côte est de 2,5 mètres chaque année, les Landes 1,7 mètre. Des chiffres qui explosent après les hivers de tempêtes, quand les dunes cèdent sur plusieurs mètres en quelques jours.

« L’érosion est un phénomène continu, mais il s’accélère lors d’épisodes plus violents et avec l'augmentation du niveau de l'océan.», rappelle un expert de l’IFREMER.

Tout est là : la dynamique est connue, mesurée, prévisible. Pourtant, l’État tarde toujours à mettre en place un cadre de financement national à la hauteur, laissant les communes seules avec des choix impossibles.

Les maires du littoral le répètent désormais publiquement. Ils parlent d’impuissance, d’alertes répétées, d’un mur financier impossible à franchir sans soutien. Et ils soulignent une évidence que Paris feint d’ignorer : une commune de 2 000 habitants ne peut pas absorber le coût d’une relocalisation, d’un achat-revente massif ou d’un démantèlement d’infrastructures en zone rouge. Mais ils continuent de délivrer des permis de construire...

Le Cap Ferret : où l’immobilier croit encore défier l’océan

S’il existe un territoire où le décalage entre la géographie et la fiction humaine atteint un sommet, c’est bien la Presqu’île de Lège-Cap Ferret. Là où le prix du mètre carré dépasse les 10 000 euros, le déni vaut parfois plus cher qu’un rapport public.

Cap Ferret comparaison des photos IGN entre 1965 et aujourd'hui

Tout le monde oublie que le Cap-Ferret s'arrêtait à La Vigne il y a 400 ans, et que la Pointe a toujours bougé (700m de moins depuis les années 70). On a imaginé fixer le trait de côte, y compris à grand renfort de remblais et de cailloux (la fameuse digue Bartherotte reconnue d'utilité non publique pour protéger sa propriété privée et rien d'autres). La comparaison des photos IGN entre 1965 et aujourd'hui est édifiante : recul de la pointe, du Mimbeau, de la plage océane. En 1965, un banc d'Arguin quasi inexistant, est un autre signe de l'évolution permanente du Cap-Ferret et de l'érosion du Bassin d'Arcachon. Les projections de recul du trait de côte dérangent, non parce qu’elles seraient infondées, mais parce qu’elles menacent une valeur immobilière devenue totem.

Le 12 février 2019, un arrêté préfectoral a prescrit la révision du PPRL de Lège-Cap Ferret. L’enjeu : intégrer les nouveaux aléas : recul du trait de côte, migration dunaire sur 100 ans. Érosion du Cap-Ferret accélérée, élévation du niveau de la mer, submersions : tout doit être réévalué. La révision a révélé la brutalité des enjeux : sur la façade océanique comme sur celle du bassin, les projections concernent des reculs de plusieurs dizaines de mètres, voire l’inconstructibilité de zones actuellement bâties.

Depuis, on discute le nouveau PPRL, encore en concertation en 2025 parce que certains pensent que cela ne va pas tant bouger que cela. Lors de la réunion publique du 1er juillet 2025, la présentation des cartes d’aléas et des scénarios à 100 ans a déclenché un vif rejet de nombreux habitants et propriétaires, inquiets d’une chute de valeur foncière et d’un gel durable des projets. Face à cette contestation, l’État a suspendu la finalisation du PPRL et accepte désormais de revoir certaines zones jugées trop pessimistes, laissant la commune dans un statu quo précaire.

Les élus naviguent entre ces deux mondes. Ils savent que la réalité physique ne négociera jamais. Mais ils savent aussi que chaque décision technique se traduit immédiatement en perte de valeur, en colère de contribuables, en accusations de catastrophisme. Résultat : les documents d’urbanisme avancent au rythme d'un bernard l'hermite à marée basse.

Des maires sous pression, des arbitrages impossibles

Le discours officiel insiste souvent sur la responsabilité de l’État. Il a sa part, incontestablement. Mais sur le terrain, l’immobilisme est aussi le produit des arbitrages communaux. Beaucoup d’élus marchent sur une ligne étroite. Ils doivent protéger leurs administrés, préserver l’attractivité locale, et éviter de plomber la valeur foncière. À Capbreton, Biscarosse, Lacanau, ou Soulac, les mêmes dilemmes reviennent : faut-il geler de nouveaux secteurs ? Restreindre les permis de construire ? Assumer devant les habitants que certaines zones n’ont plus d’avenir à long terme ?

"Ces questions sont explosives. Dire qu’un quartier doit être relocalisé revient à annoncer que des dizaines de familles verront la valeur de leur bien s’effondrer." alerte un élu de Lacanau.

Certains maires alertent donc publiquement sur l’urgence climatique, tout en retardant en coulisses les décisions qui fâchent. Difficile de leur reprocher complètement cette prudence quand l’État n’offre ni cadre clair, ni soutien financier suffisant.

Cette ambiguïté crée une mécanique bien connue : chacun reconnaît le danger, mais chacun espère que la décision viendra d’un autre niveau de pouvoir.

Recul du littoral au Petit Nice (La Teste de Buch)

Plus d’habitants, plus de constructions… et un littoral de plus en plus vulnérable

Le littoral néo-aquitain ne recule pas dans un désert démographique. Il attire toujours davantage. Selon l’INSEE, la Gironde et les Landes comptent parmi les départements les plus dynamiques de France. Des habitants arrivent, des logements se construisent, des communes s’étendent. Plus le littoral séduit, plus il se fragilise. Plus il se fragilise, plus les décisions deviennent politiquement coûteuses. Mais les maires du bassin d'Arcachon étaient fiers d'annoncer en 2024 que le nouveau PLU permettrait de construire 30000 logements supplémentaires ! Une promesse spectaculaire, mais totalement déconnectée d’un littoral qui recule, d’aléas renforcés par les PPRL, et d’un territoire déjà contraint par la lutte contre l’artificialisation.

On refuse de l’admettre, mais le vrai scandale est là : l’érosion progresse pendant que l’aménagement du territoire continue comme si de rien n’était. Des campings, des commerces, des parkings restent en première ligne, alors que les cartes d’aléas montrent clairement leur vulnérabilité à 20 ou 30 ans.
La puissance publique planifie encore pour des horizons qui n’existent déjà plus.

L’heure des choix : ce que la France cache encore sur son littoral

"Relocaliser, financer, décider : tout le monde sait ce qu’il faudra faire, mais personne ne veut en porter la charge politique." nous dit à mots couverts un expert du BRGM.

Dire qu’on ne pourra pas tout protéger ni tout reconstruire reste un interdit majeur alors que les rapports s’empilent, que les tempêtes rappellent la réalité et que les milliards menacés saturent déjà les cartes d’aléas. La Nouvelle-Aquitaine se retrouve ainsi face à un choix que le pays repousse depuis vingt ans, malgré des solutions connues et disponibles.

Les rapports s’alignent, les tempêtes aussi, mais la parole publique reste floue. On “accompagne”, on “observe”, on “expérimente”. Pendant ce temps, la mer gagne du terrain, et les milliards d’euros de patrimoine menacé continuent de s’accumuler sur les cartes, dans les rapports, et bientôt sur les comptes publics. Ce qui manque, ce n’est plus l’expertise ou les outils, mais la rupture franche entre déni et décision.

"Les élections municipales approches, il serait temps d'avoir des maires qui ont une vision autre que d'empliler des habitations au bord d'un littoral à risque." nous confie un militant écologiste.

Car la mer n’attendra pas que les PPRL soient validés. Elle n’attendra pas les élections. Elle n’attendra pas un nouveau rapport. Elle avance. Et la facture, elle aussi, avance.


Sources Consultées

  • Cour des Comptes, Rapport public annuel 2024 – Gestion du trait de côte
  • Cour des Comptes, Note d’analyse rapide – Érosion du littoral en Gironde et Landes, juin 2024
  • INSEE, Évolution démographique Gironde / Landes, 2023
  • Ministère de la Transition écologique, Théma – Régulation de l’érosion côtière en Aquitaine
  • Préfecture de la Gironde, Révision du PPRL de Lège-Cap Ferret, 2025
  • BRGM, Étude RP-64723-FR – Recul du trait de côte secteur Petit Nice / Lagune, 2020
  • Figaro Nautisme, Appel des élus du littoral pour un fonds national d’adaptation, novembre 2024.
JA

Par Jacques FROISSANT

Directeur de la publication

Bordelais, œnologue, tout allait bien… jusqu’à ce que je dérape dans l’entrepreneuriat RH pour les startups. 😉 Auteur et chroniqueur (L’Express, FrenchWeb, France 3 NOA...), je suis aujourd’hui cofondateur et rédacteur en chef d’AQUI.Media

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