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Économie

Alexandre Laing claque la porte de Tudigo : symbole de la crise du crowdfunding

Le départ spectaculaire d’Alexandre Laing de Tudigo expose les failles du crowdfunding : crise immobilière, PSFP, conflits d’associés et plateformes au bord de la rupture.

Par Jacques FROISSANT
Publié il y a 20 nov.
8 min de lecture
Alexandre Laing claque la porte de Tudigo : symbole de la crise du crowdfunding
Alexandre Laing claque la porte de Tudigo Photo by Paul Keiffer / Unsplash

Coup de tonnerre chez les « scale up » bordelaises

C’est un tremblement de terre dans le petit monde du financement non coté. Alexandre Laing, cofondateur et CEO de Tudigo, qui en portait la croissance depuis son origine, a choisi de quitter le navire avec un sens du spectacle rarement observé dans l’écosystème bordelais, une French Tech locale qui encensait pourtant il y a peu cette "fintech devenue PME".

Au lieu de prévenir ses associés ou ses actionnaires, il s’adresse d’abord aux 70 000 clients de la plateforme. Le geste n’est pas anodin : c’est un départ orchestré comme un baroud d’honneur. Et pour parachever la scène, Laing met en vente ses propres actions, dégagées de tout pacte d’associés, directement auprès de ses abonnés. Une sortie façon western, revolver encore fumant, et personne pour retenir le cheval. A Bordeaux cela fait l'effet d'une bombe.

Tudigo : une guerre de vision devenue guerre de tranchées

Ce départ fracassant n’est que l’ultime épisode d’un conflit qui couvait depuis des mois. Les deux fondateurs ne partageaient plus la même définition du financement participatif. Stéphane Vromman défendait une approche « flux », celle d’un acteur qui facture des prestations et reste un simple intermédiaire. Alexandre Laing, lui, rêvait de basculer Tudigo dans un modèle « stock », à mi-chemin du private equity, plus ambitieux, plus rémunérateur, plus structurant aussi.

La newsletter Zéro Bullshit l’a rappelé :
"Cette trop longue période de batailles internes a donné lieu à des méthodes que beaucoup décrivent comme brutales, accentuées par l’irruption d’un sordide entrepreneur venu du monde des médias, et autoproclamé représentant des minoritaires, touché par la grâce du non coté mais dépourvu de toute crédibilité sérieuse. Le placement imminent de la société sous mandat ad hoc apparaît désormais comme une étape presque sanitaire : remettre un peu d’ordre après des mois de chaos."

La forêt derrière l'arbre.

Au-delà du feuilleton, cet événement révèle l’état de tout un secteur. Pendant des années, les plateformes de crowdfunding se sont présentées comme de simples passerelles entre les particuliers et les entrepreneurs. Un rôle séduisant, presque héroïque, qui a permis d’attirer plus de 3,7 millions d’investisseurs particuliers et d’acheminer plus de dix milliards d’euros vers l’immobilier et les startups (Source Forvis Mazars).


La chute est d’autant plus rude

La crise du crowdfunding en France révèle désormais ses failles systémiques. La crise de l’immobilier, qui représentait près des trois quarts des financements, a asséché le marché. Les startups financées via le crowdfunding appartiennent, pour la plupart, au fameux « ratio poubelle » des fonds professionnels : beaucoup d’histoires, peu de sorties, quasiment aucun rendement. Pour les particuliers, la promesse d’un accès démocratisé au non coté ressemble désormais à un miroir aux alouettes tourné en boucle sur les réseaux sociaux en mode "influenceur".

Le grand coup d’arrêt du crowdfunding

Le secteur des plateformes d’investissement traverse sa plus forte instabilité depuis dix ans. Après une croissance quasi ininterrompue depuis 2019, la collecte chute brutalement en 2023. En 2024, elle retombe à 1,7 milliard d’euros — un niveau qui sonne comme un réveil brutal pour un secteur habitué aux superlatifs. La régulation n’a rien arrangé. L’entrée en vigueur du statut de PSFP, sous contrôle de l’AMF, a mis fin au bricolage qui accompagnait encore nombre de plateformes sous le régime CIP. Le secteur découvre soudain les exigences du vrai monde financier : procédures, conformité, responsabilité. La crise du crowdfunding en France pointe son nez.

Mais le plus ironique, c’est le timing. À peine les règles resserrées que les défaillances éclatent au grand jour. Les dérives sont exposées, les plateformes fragiles vacillent, et les dirigeants découvrent que la professionnalisation ne se décrète pas dans une brochure commerciale et que le fossé entre un private equity régulé de longue date et un crowdfunding ayant une vision naïvement romantique du non côté est large, très large.

Timeline de la crise du crowdfunding (2019-2025)

• 2019 – Maturité du secteur, explosion de l’immobilier, croissance continue.

• 2020 – Accélération Covid, afflux massif d’épargne des particuliers.

• 2021 – Pic d’euphorie : 70 % de l’activité en immobilier, valorisations record.

• 2022 – Premiers retards, dossiers fragiles, préparation du PSFP.

• 2023 – Première chute de collecte en dix ans, crise immobilière, procédures amiables.

• 2024 – Collecte en baisse à 1,7 Md€, PSFP/AMF, fermetures et restructurations.

• 2025 – Crise ouverte : départs, conflits d’associés, gestions extinctives, absorptions, arrêts d’activité.

L’hécatombe silencieuse

Les arbitrages se multiplient. Certains acteurs jettent purement et simplement l’éponge, d’autres se débattent dans des conflits d’actionnaires, plusieurs tentent de se faire absorber avant qu’il ne soit trop tard, et quelques-uns glissent discrètement en gestion extinctive. On assiste, en quelques mois, à ce que le secteur avait réussi à éviter pendant dix ans : la fin de l’innocence.

Et les exemples sont légion : WeShareBonds cesse son activité, WiSeed qui fait face à un conflit d’actionnaires bloquant un adossement industriel et l’obligeant à se mettre sous mandat ad hoc, Lumo qui est « éteint » en catimini par la Société Générale (et son portefeuille transféré à Enerfip), Anaxago qui renonce à son projet de rapprochement avec Bricks, incapable de financer l’opération, ClubFunding  qui vit l’électrochoc d’un changement de dirigeant et diversifie ses activités, October qui passe en gestion extinctive, Blast qui cherche son renouveau aux US...

Vers un nouveau non coté… ou vers plus de casse ?

L'affaire Alexandre Laing vs TUDIGO, est un révélateur. Malgré tout, le financement non coté pour particuliers continue d’avancer. Les nouveaux entrants se montrent plus prudents, plus professionnels, plus proches des standards du private equity : moins de volume, mais des dossiers plus solides, plus travaillés, plus alignés avec les intérêts des investisseurs.


Encore faudrait-il que les 3,7 millions d’épargnants embarqués dans cette aventure revoient un jour leur argent. Car si une plateforme — censée être leur tiers de confiance — disparaît au passage, les chances de récupération s’évaporent. Voilà un sujet que l’AMF devra probablement affronter encore longtemps.


« Tous les faits mentionnés proviennent de sources publiques : décisions de justice, communiqués, baromètres sectoriels, articles spécialisés. »

Sources :

Baromètre du Crowdfunfing en France 2024 (France FinTech)

CP février 2025 | Le crowdfunding franchit le cap des 10 milliards d’euros cumulés mais affiche un recul en 2024 - Forvis Mazars
Paris, le 12 février 2025 – Forvis Mazars et France FinTech publient le baromètre de référence du financement participatif en France pour la sixième année consécutive. Dans un contexte économique toujours complexe, le baromètre met en évidence, pour la deuxième année de suite, un recul du crowdfunding après une période de forte croissance. Si la crise immobilière pèse sur le secteur, la structuration du marché et une reprise en fin d’année laissent entrevoir des perspectives de rebond.
Tudigo : one SPV to rule them all
Un conflit d’associés, 200 millions à protéger, et zéro mode d’emploi.

FAQ – Comprendre la crise du crowdfunding et l’affaire Tudigo

Pourquoi Alexandre Laing a-t-il quitté Tudigo ?

Il s’en va après des mois de divergences stratégiques avec son associé. Alexandre Laing voulait transformer Tudigo en acteur proche du private equity, capable de porter des participations et de structurer des SPV. Son associé préférait un modèle plus simple, centré sur des prestations et un rôle d’intermédiaire. Le désaccord est devenu irréconciliable.

En quoi cette affaire révèle-t-elle les failles du crowdfunding ?

Le départ d’Alexandre Laing agit comme un révélateur d’un secteur sous tension. La crise immobilière, les conflits d’associés, les dérives de gouvernance, les retards de remboursement et la transition forcée vers le PSFP exposent les fragilités accumulées. Le secteur découvre ce que signifie vraiment une régulation financière stricte.

Quel rôle a joué la crise immobilière dans l’effondrement du secteur ?

L’immobilier représentait la majorité des levées. Quand le marché s’est grippé, la collecte a chuté, les projets se sont fragilisés et les remboursements ont dérapé. En 2024, la collecte annuelle est tombée à 1,7 milliard d’euros, un niveau bien inférieur aux années d’euphorie.

Qu’est-ce que le PSFP et pourquoi change-t-il tout ?

Le statut de Prestataire de Services de Financement Participatif impose une régulation beaucoup plus serrée : sélection des dossiers, gestion des conflits d’intérêts, obligations d’information, responsabilité juridique. Les plateformes ont dû passer d’un esprit “startup” à un cadre AMF. Beaucoup ne sont tout simplement pas prêtes.

Quels risques pèsent sur les investisseurs particuliers ?

Retards, pertes en capital, manque de liquidité, projets mal ficelés… et une menace supplémentaire : si une plateforme s’effondre, les sommes investies deviennent plus difficiles à récupérer. Une partie des épargnants découvre un risque qu’on leur avait peu détaillé.

Combien d’investisseurs et de montants sont concernés en France ?

Selon les baromètres France FinTech et Forvis Mazars, le crowdfunding a mobilisé plus de trois millions d’investisseurs particuliers pour plus de dix milliards d’euros cumulés depuis 2015. Une dynamique spectaculaire qui rend la crise actuelle d’autant plus sensible

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Par Jacques FROISSANT

Directeur de la publication

Bordelais, œnologue, tout allait bien… jusqu’à ce que je dérape dans l’entrepreneuriat RH pour les startups. 😉 Auteur et chroniqueur (L’Express, FrenchWeb, France 3 NOA...), je suis aujourd’hui cofondateur et rédacteur en chef d’AQUI.Media

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