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Économie

Tehtris cybersécurité : Quand les barbouzes croisent les VCs...

Coup de tonnerre chez Tehtris, la scale up bordelaise spécialiste de la cybersécurité : la fondatrice Elena Poincet quitte l'entreprise après une restructuration. Analyse du choc culturel entre entrepreneurs Défense et VCs.

Par Jacques FROISSANT
Publié il y a 23 oct.
4 min de lecture
Tehtris cybersécurité : Quand les barbouzes croisent les VCs...
Tehtris Cybersecurité

Coup de tonnerre dans la cybersécurité française. Le séisme est bien réel, même si une communication en deux temps a tenté d’en atténuer la portée : Tehtris, la plus grosse scale-up de Nouvelle-Aquitaine, se restructure. Et sa fondatrice charismatique en sort du champ de bataille : Elena Poincet quitte la société qu’elle a cofondée en 2010, après quinze années de bons et loyaux services.

Flash-back

Retour en 2010.
Elena Poincet et Laurent Oudot, cofondateurs et couple à la ville, créent leur logiciel de cybersurveillance. Elle vient du renseignement opérationnel, lui des services techniques. La société, entièrement bootstrapée, autofinance sa croissance en appliquant les codes du monde dont elle est issue : agir sous le radar, loin des paillettes de l’hypercroissance dopée aux millions de fonds d’investissement. Tehtris entreprise de cybersécurité basée à Bordeaux est née.

Le passage à l’acte

Il faut attendre 2020, alors que Tehtris est rentable depuis plusieurs années, pour voir les fondateurs ouvrir leur capital. Une levée de 10 M€ permet de renforcer les fonds propres et de faire entrer ACE Management (fonds lié au ministère des Armées, désormais rattaché à Tikehau Capital), CNP, des investisseurs régionaux et Thierry Letailleur, ex-dirigeant d’ACE.
Un tour de table prestigieux, composé de professionnels du financement de projets souverains, proches du monde de la Défense. On reste en famille.

L’appétit vient en mangeant

Post-Covid, la société remet le couvert : 44 M€ levés pour accélérer en Europe. Cette fois, Jolt Capital, fonds spécialisé dans la deeptech et la cybersécurité, prend le lead et devient le principal actionnaire. C'est la plus grosse levée de la French Tech Bordeaux à ce jour.
Mais avec de tels montants viennent aussi les exigences. Des divergences apparaissent rapidement : logique quand on connaît les profils des fondateurs, issus du renseignement et de la culture militaire, face à des investisseurs aguerris et cochant les cases des codes de la tech parisienne.
Elena et Laurent jouent pourtant le jeu, acceptant même d’être coachés par un mentor issu de l’écosystème (Patriiiick, si tu nous lis…).

Hypercroissance et diversification

Les années post-Covid marquent la diversification : nouveaux produits, nouvelles géographies, et un effectif qui passe de 100 à plus de 250 salariés, avec l’inflation salariale que l’on imagine.
Dans un contexte où la cybersécurité / cyberdéfense devient un enjeu de souveraineté nationale, la crise de croissance s’installe doucement. Multiplication des chantiers, middle management fraîchement arrivé, et exigences de croissance parfois incompatibles avec la lenteur nécessaire à la cybersécurité. Rien que de très normal dans l'absolu mais le contexte économique cristallise les tensions.

Le grand écart avec les entrepreneurs de la Défense

C’est là que le hiatus se creuse. Même si les VCs ont désormais une culture entrepreneuriale, près de la moitié ont fondé ou cofondé une société, rares sont ceux qui connaissent la réalité de l’hypercroissance : perte d’efficacité, dette technique, priorités brouillées.
Ajoutons le fossé culturel entre des investisseurs focalisés sur la création de valeur et des entrepreneurs « défense » animés par les notions de souveraineté et de patriotisme, inscrites dans un temps long.
Et lorsque le navire tangue, les vieux réflexes refont surface : méfiance envers les équipes fondatrices « familiales », alors même que le private equity, lui, adore ces structures… du moins quand tout va bien.
Mais Tehtris n’est plus « dans les clous ». La réorganisation est exigée. Elle sera annoncée avant l’été. Chassez le naturel…

Exit la fondatrice, place au duo de contrôle.
Richard Vacher Detournière, administrateur indépendant depuis trois ans et arrivé dans les cartons des investisseurs, prend la tête de Tehtris comme président exécutif.
Jean-Philippe Lion, déjà aux manettes des opérations, est confirmé dans ses fonctions de DG.

Le communiqué de presse est on ne peut plus sibyllin :

Dans le cadre de cette gouvernance renouvelée, Éléna Poincet, cofondatrice et ancienne présidente-directrice générale, quitte ses fonctions. Le conseil d’administration et les actionnaires la remercient pour son rôle décisif dans la création et le développement de TEHTRIS.

La grande muette et les paillettes

La décision est rude. Se séparer d’une fondatrice n’est jamais anodin, surtout dans un secteur où les codes et la confiance sont essentiels.
L’affaire interroge : les entrepreneurs issus de milieux confidentiels, renseignement, défense, souveraineté, peuvent-ils durablement coexister avec des investisseurs financiers ?
Alors que la souveraineté numérique devient une cause nationale, il reste du chemin à parcourir pour réconcilier ces deux mondes.

NB : Sollicitée, Elena Poincet n’a (évidemment) pas répondu à nos demandes.


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