Pesticides : quand la justice oblige l’État à sortir du déni
Après l’échec de la loi Duplomb, nouveau camouflet pour l’État. La cour administrative d’appel de Paris le condamne pour des procédures d’autorisation de pesticides jugées obsolètes. En jeu : la biodiversité et la santé humaine.

Après le rejet de la loi Duplomb, l’État français essuie un nouveau revers dans le recours dit de “Justice pour le vivant”. La cour administrative d’appel de Paris vient de condamner l’État pour ses procédures d’autorisation des pesticides, jugées insuffisantes pour protéger la biodiversité et la santé humaine.
L’Etat s’expose ainsi à un réexamen, sous 24 mois, de toutes les autorisations de mise sur le marché délivrées avec une méthodologie jugée bancale. Un nouveau coup de tonnerre juridique et politique. En 2023, le tribunal administratif avait déjà reconnu la responsabilité de l’État dans l’usage excessif des pesticides. Mais l’appel franchit un cap : il oblige à revoir les autorisations déjà en vigueur.
Un préjudice écologique reconnu
L’arrêt du 3 septembre reconnaît explicitement un « préjudice écologique » lié aux produits phytopharmaceutiques. Une première à ce niveau.
La Cour administrative d’appel reconnaît explicitement un "préjudice écologique résultant de l'usage des produits phytopharmaceutiques", notamment envers "la santé humaine". Une première à ce niveau.
Elle ordonne, pour le réparer, "de procéder, le cas échéant, au réexamen des autorisations de mises sur le marché déjà délivrées et pour lesquelles la méthodologie d’évaluation n’aurait pas été conforme à ces exigences, dans un délai de vingt-quatre mois", a-t-elle résumé dans son communiqué accompagnant la décision.
L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), censée garantir que ces substances n’ont pas « d’effets inacceptables sur l’environnement », est pointée du doigt pour avoir ignoré les dernières connaissances scientifiques. Insectes pollinisateurs, sols, espèces non ciblées : autant d’impacts passés sous silence.
Les ONG jubilent
Pollinis, l’une des associations à l’origine du recours « Justice pour le Vivant », parle de victoire historique. Elle réclame que l’État ne tente pas un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État. Car la décision va bien au-delà du simple rappel à l’ordre : elle contraint juridiquement à réviser les protocoles d’évaluation, et à publier un calendrier de réforme sous six mois. Bref, un carcan judiciaire inédit pour un gouvernement accusé de fermer les yeux depuis trop longtemps.
Et les agriculteurs dans tout ça ?
Ici, l’histoire devient plus complexe. Du côté des exploitants, on redoute de nouveaux bâtons dans les roues. La filière betteravière, déjà frappée par l’interdiction des néonicotinoïdes, chiffre les pertes de récoltes à 15 % par an en moyenne, jusqu’à 70 % certaines années. Pour beaucoup, l’alternative biologique ou mécanique n’est pas encore au niveau. Résultat : sentiment d’abandon, incompréhension face à une société qui réclame le « zéro pesticide » mais continue d’exiger des produits abondants et bon marché.
La fin des faux-semblants ?
Cette décision marque une rupture : la justice s’impose là où la politique a trop souvent reculé. Reste à savoir si l’Anses et le gouvernement joueront le jeu, ou si tout cela finira dans les sables mouvants d’un recours en cassation. Les associations promettent de veiller. Les agriculteurs, eux, redoutent de servir une fois de plus de variables d’ajustement. Et on ne peut pas dire que le gouvernement actuel (ou suivant) s’en préoccupe vraiment.
La guerre des pesticides entre dans une nouvelle ère. Cette fois, le juge tient la plume et on peut légitimement se demander si c’est une bonne nouvelle…
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