Éric Agostini, une vie au service des vins de Bordeaux
Il n’a jamais taillé la vigne, mais il en a protégé l’âme. Dans les prétoires comme dans les amphithéâtres, Éric Agostini a défendu Bordeaux avec la même passion qu’un vigneron veille sur ses ceps.

Dans le monde du vin, il y a les vignerons, les œnologues, les négociants, les critiques, et puis il y a ceux dont le rôle, plus discret, n’en est pas moins essentiel : les gardiens de l’identité et du droit. Parmi eux, Éric Agostini restera comme une figure singulière, passionnée, qui a su faire du droit viticole un art de conviction et de protection. Avocat à la cour, professeur de droit, il a marqué le vignoble bordelais de son empreinte intellectuelle et humaine. Son parcours illustre à quel point un plaidoyer, au-delà des tribunaux, peut contribuer à préserver un patrimoine. Il s’est éteint en juillet 2025.
Un juriste habité par la vigne
Agrégé de droit privé et enseignant à l’université de Bordeaux, Éric Agostini n’était pas un juriste comme les autres. Dès les années 1980, il cofonde le Master de droit de la vigne et du vin, formation pionnière qui donnera aux futures générations d’avocats, de juristes et de gestionnaires les clés pour appréhender les subtilités de ce secteur. Sa conviction était simple : le vin n’est pas seulement un produit, il est une culture, un langage, une identité. Et cette identité mérite un cadre juridique solide.
Son bureau, au cœur de Bordeaux, était réputé pour abriter autant de livres de droit que de recueils de poésie. Car l’homme ne séparait pas le juriste du lettré. Ses plaidoiries, ponctuées de traits d’esprit, étaient celles d’un avocat mais aussi d’un conteur, parfois d’un poète.
Défendre les châteaux et leur mémoire
L’apport d’Éric Agostini au vignoble bordelais se mesure d’abord dans les combats juridiques qu’il a menés. À Pauillac, il a obtenu que les Domaines Peyronie puissent continuer à utiliser le nom « Château Pauillac », malgré l’opposition des instances viticoles, INAO et CIVB1 réunis. Dans une région où chaque nom, chaque toponyme est chargé d’histoire et de valeur économique, cette victoire illustre sa capacité à conjuguer rigueur juridique et sensibilité patrimoniale.
Il fut aussi l’avocat du Château Figeac, lorsqu’il s’opposa à l’usage trop proche de « Château Croix Figeac ». Derrière ces litiges, il ne s’agissait pas seulement de défendre une étiquette : il s’agissait de défendre une réputation, un héritage. Bordeaux, terre de grands crus, repose sur une hiérarchie et une nomenclature où chaque mot compte. Agostini l’avait compris et se battait pour que ces mots ne soient pas galvaudés.
Son nom apparaît également dans des affaires emblématiques : la confrontation entre Petrus et Petrus Lambertini, ou encore le bras de fer autour de l’utilisation de l’expression « grand cru » par la maison de cosmétiques Caudalie. Dans chacun de ces dossiers, il plaçait la protection de l’identité viticole au cœur du débat.
Un avocat hors normes
Mais réduire Éric Agostini à ses affaires serait lui faire injure. L’homme était plus large que ses plaidoiries. Ses confrères le décrivaient comme un provocateur bienveillant, un esprit brillant et joueur, toujours prêt à prendre le contre-pied des évidences. Il lisait dans une quinzaine de langues, citait les poètes italiens, et aimait ponctuer ses interventions de traits d’esprit. On raconte qu’un jour, sur le perron d’un château, il s’est mis à chanter « O sole mio » d’une voix de ténor, au milieu d’un groupe de juristes et de vignerons ébahis. C’était lui : érudit, décalé, charmeur, imprévisible.
Sa compagne, l’avocate Hanna Agostini, partageait avec lui ce goût du vin et du droit. Ensemble, ils formaient un duo respecté, à la fois redoutable dans les prétoires et chaleureux dans les cercles bordelais.
L’art d’enseigner et de transmettre
Éric Agostini n’a jamais cessé d’enseigner. Droit international, droit privé, droit des marques : ses cours étaient réputés pour leur densité intellectuelle, mais aussi pour leur fantaisie. Ses étudiants se souviennent de ses digressions sur l’histoire du vin, la littérature, ou encore les subtilités de la langue. Pour lui, le droit n’était pas une discipline aride, mais un instrument vivant pour comprendre le monde.
En créant et animant le cursus de droit de la vigne et du vin, il a façonné un vivier de juristes aujourd’hui actifs dans les châteaux, les syndicats, les cabinets d’avocats et les institutions internationales. Son héritage est donc autant académique que judiciaire.
Un héritage vivant
La disparition d’Éric Agostini a laissé un vide dans le monde du vin. Mais son œuvre demeure. Chaque bouteille de Pauillac protégée, chaque grand cru bordelais dont le nom a été sauvegardé porte, en filigrane, la trace de ses combats. Ses plaidoiries ont permis au vignoble d’affirmer sa singularité face à la mondialisation, à la banalisation et aux imitations.
Il a prouvé qu’un avocat pouvait jouer un rôle décisif dans la préservation du patrimoine culturel et économique d’un territoire. Dans un monde où les marques viticoles sont constamment menacées par la contrefaçon et l’usurpation, son travail reste une référence.
L’avocat et le poète
Au fond, Éric Agostini n’était pas seulement un avocat. Il était un passeur. Passeur entre le droit et la culture, entre la rigueur juridique et la fantaisie littéraire, entre les tribunaux et les vignobles. Son nom restera attaché aux grands crus bordelais qu’il a défendus, mais aussi à une certaine idée de l’élégance intellectuelle. Dans le monde du vin, où tout est affaire de terroir, il a rappelé que la mémoire et l’identité s’écrivent aussi avec des mots, des lois, et parfois des vers.
Éric Agostini, maître du droit viticole, aura ainsi contribué à faire de Bordeaux non seulement une capitale du vin, mais aussi un haut lieu du droit appliqué à la vigne. Et dans les chais comme dans les amphithéâtres, son souvenir continue de résonner, comme une voix de ténor qui refuse de s’éteindre.
1l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO) et le Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB)
Mots-clés :
Articles similaires

TER : Nouvelle-Aquitaine en croisade contre les tarifs SNCF
TER trop chers : la Nouvelle-Aquitaine mène la fronde contre SNCF Réseau. 4,5 milliards par an en je...
IA : le sensationnalisme économique à son paroxysme
L'entrée d'ASML au capital de Mistral est unanimement salué en Europe. Le secteur de l'IA reste cepe...

L'édito politique du lundi : Un Président dans la seringue
Nous rentrons dans une séquence de tous les dangers : vote de confiance, journée de blocage le 10, a...