IA : votre futur manager ? - Épisode 2 – La fin du job “moyen” ?
L’IA bouscule l’emploi : assistantes, comptables, rédacteurs juniors… Les métiers intermédiaires vacillent, et l’ascenseur social se bloque.

Dix enquêtes sur la révolution silencieuse qui redessine le travail. De l’open space infiltré aux métiers menacés, des syndicats déboussolés au contrat social à réinventer, Aqui.Media explore sans filtre l’impact de l’IA générative sur nos vies professionnelles.
Épisode 2 – La fin du job “moyen” ?
Quand l’IA efface les professions intermédiaires
Assistantes, comptables, rédacteurs juniors, graphistes… Ces métiers faisaient tourner les entreprises, sans bruit, en occupant l’entre-deux entre dirigeants et opérationnels. La secrétaire avait déjà disparu avec Outlook et Google Agenda. L’IA générative va plus loin : elle s’attaque désormais aux professions intermédiaires.
Comme l’automatisation industrielle avait laminé les ouvriers, l’IA menace maintenant les “cols blancs moyens”. Une disparition sourde, mais lourde de conséquences. Sommes-nous en train de perdre l’échelon central de nos organisations ?
Les métiers en première ligne
- Assistants administratifs : mails, notes, planning. Des tâches avalées par ChatGPT, Copilot ou Notion AI. De plus en plus de managers se passent d’assistantes.
- Comptables juniors : rapprochements bancaires, bilans simples, saisie. Pennylane automatise une grande partie de ces tâches, réduisant le rôle des juniors et libérant les experts des “petites mains”.
- Rédacteurs / Content Manager débutants : fiches produits, traductions, articles de synthèse. Là encore, les IA textuelles s’en chargent.
- Graphistes juniors : retouche, mise en page, bannières web basiques basculent sur Canva boosté à l’IA.
D’ici 2030, 29 % des heures de travail pourraient être automatisées par l’IA (McKinsey). Goldman Sachs prévoit jusqu’à 300 millions d’emplois supprimés dans le monde, notamment dans les métiers intermédiaires.
Pourquoi sont-ils vulnérables ?
- Des tâches répétitives, codifiées, prévisibles, parfaites pour l’IA.
- Un capital relationnel faible : contrairement aux managers seniors, les juniors n’ont ni réseau ni visibilité.
- Une équation économique redoutable : rapide, bon marché, sans RTT ni coquilles (ou presque), l’IA est imbattable sur l’exécution.
La fracture qui s’installe
Les “juniors” sont les perdants immédiats. Au Royaume-Uni, les offres d’emplois d’entrée de gamme ont chuté de 32 % depuis l’arrivée de ChatGPT (Adzuna, 2025). En France, l’Apec note une baisse tendancielle des recrutements de jeunes diplômés, les entreprises préférant désormais des profils expérimentés, capables de manier l’IA sans apprentissage coûteux.
Aux États-Unis, selon CBS News :
- Les offres de postes juniors ont reculé de 15 %
- Les candidatures par poste ont bondi de 30 %
- Le chômage des diplômés universitaires (22-27 ans) atteint 5,8 %, contre environ 4 % pour la population générale.
- Seuls 30 % des diplômés 2025 trouvent un emploi à temps plein dans leur domaine de formation (DiverseEducation).
Même les promos des grandes universités peinent désormais à décrocher un premier poste.
Comme le souligne FrenchWeb : “l’IA n’élimine pas seulement des emplois, elle efface une étape essentielle des carrières : celle où les jeunes apprennent par la pratique.”
Résultat : moins de stages, moins de CDD juniors, plus de seniors “augmentés” et un trou béant dans la transmission des compétences.
Conséquences sociales et économiques
- Ascenseur social bloqué : sans premiers postes, les parcours d’évolution se ferment.
- Précarité accrue : multiplication des missions courtes et du freelancing, recul des CDI.
- Polarisation du marché : émergence de “superstars augmentées” et marginalisation grandissante des autres.
En 2018, la France comptait 7 millions de professions intermédiaires, soit 26 % de l’emploi total (Insee). France Stratégie alerte : d’ici 2030, ces métiers n’offriront guère de créations nettes, les embauches ne servant qu’à compenser les départs en retraite. L’IA ne fait qu’accélérer cette érosion.
Entre résistance et adaptation
Certains secteurs interdisent l’usage de l’IA, officiellement pour protéger l’emploi… mais surtout pour des raisons de confidentialité. JPMorgan, Samsung, BNP Paribas ont banni ChatGPT pour éviter les fuites de données.
D’autres entreprises, plus pragmatiques, transforment les rôles. L’exécution bascule vers la supervision. Des programmes de formation express à l’IA apparaissent pour juniors et managers. Le mot d’ordre : place à la créativité, au relationnel et à la stratégie, où l’humain reste irremplaçable.
L’ascenseur social menacé par l’IA
L’IA ne supprime pas le travail. L’IA efface des étages entiers de la pyramide professionnelle. Sans marches, impossible de gravir l’escalier.
La vraie question n’est donc plus “quels métiers l’IA remplace ?” mais : comment construire une carrière quand les jobs d’entrée disparaissent ?
Car sans juniors pour apprendre, sans premières armes pour se former, qui deviendra le manager de demain ? À force de brûler les étapes, on risque de créer une génération coincée dans le hall d’entrée : diplômés, qualifiés… mais sans porte à pousser.
Le risque n’est pas seulement économique. Il est social, politique, civilisationnel. Un marché du travail sans tremplin, c’est un marché qui fabrique de la frustration, du ressentiment — et demain, de la colère.
À lire aussi – IA : votre futur manager ?
Cette enquête fait partie de notre série “IA : votre futur manager ? – Dix enquêtes sur la révolution silencieuse qui redessine le travail”, publiée par Aqui.Media.
Déjà publié :
Vous lisez actuellement :
- Épisode 2 : La fin du job “moyen” ? – Quand l’IA efface les professions intermédiaires
À venir :
- Épisode 3 : Cols blancs augmentés – Ceux qui domptent l’IA travaillent deux fois plus vite
- Épisode 4 : RH et recrutement – CV et lettres passent déjà à la moulinette algorithmique
- Épisode 5 : La guerre des compétences – Ne pas “parler IA” devient un handicap mortel
- Épisode 6 : Syndicats et DRH – Comment négocier avec une boîte noire ?
- Épisode 7 : Créativité vs intox – Génie sous stéroïdes ou fake news industrielles ?
- Épisode 8 : Burn-out de l’humain lent – Survivre au rythme imposé par la machine
- Épisode 9 : Les petites mains de l’IA – Derrière les algos, une armée d’ouvriers précaires
- Épisode 10 : Contrat social 2.0 ? – Taxer, réguler ou partager la valeur de l’IA
Par Jacques FROISSANT
Directeur de la publication
Bordelais, œnologue, tout allait bien… jusqu’à ce que je dérape dans l’entrepreneuriat RH pour les startups. 😉 Auteur et chroniqueur (L’Express, FrenchWeb, France 3 NOA...), je suis aujourd’hui cofondateur et rédacteur en chef d’AQUI.Media
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