Vol de photo, 9 ans pour victoire en cassation : le combat d’un photographe du bassin
Au départ un photographe passionné, un paysage de rêve, un promoteur immobilier, et neuf années d’une longue bataille judiciaire qui vient enfin de trouver son épilogue.

Le photographe gujanais Stéphane Scotto, connu pour ses images emblématiques du Bassin, a remporté une victoire en cassation contre l’utilisation frauduleuse d’une de ses photographies dans une campagne publicitaire du promoteur LW Immobilier à Andernos.
Une découverte à un feu rouge
Juillet 2016. Stéphane Scotto s'arrête à un feu rouge dans le centre d’Andernos. En levant les yeux, il tombe sur une immense bâche de 60 m2, en façade d’un immeuble en construction. Une de ses photos s’y affiche en grand, associée au logo de LW Immobilier et au nom du programme "Côté Bassin". Problème : il n’a jamais cédé les droits d’utilisation de cette image. Et encore moins pour promouvoir un projet immobilier. Pire : une semaine plus tard, il découvre que la même photo figure aussi en couverture de la plaquette commerciale du programme.
D’une photo volée à trois adversaires en justice
Très vite, le photographe fait constater les faits par huissier et confie l’affaire à une avocate spécialiste du droit d’auteur. La mise en demeure au promoteur est claire : retrait immédiat des supports et indemnisation selon les barèmes UPP, tenant compte de la taille, du recadrage, de l’absence de crédit et de la nature publicitaire de l’usage. Le préjudice est estimé à plus de 50 000 €.
Mais la négociation tourne court. Le promoteur refuse de retirer l’affichage, propose 6500 €, puis quitte brutalement la réunion. S’engage alors une véritable guerre d’usure.
« A ce stade, je n'avais pas d'autre choix que de les assigner. Non seulement ils ne voulaient pas m'indemniser correctement mais en plus ils voulaient garder l'affichage en place, ce qui me dérangeait beaucoup, car je n'aurai jamais accepté l'utilisation d'une de mes photos pour vanter un programme immobilier. » nous rappelle Stéphane Scotto, par ailleurs engagé contre l’urbanisation galopante du Bassin d’Arcachon.
Le promoteur appelle en garantie son graphiste. Celui-ci se retourne vers la société Andernos Publication, éditrice du magazine "Bassin Magazine", dont le propriétaire est un certain Dominique Desclaux, également associé dans le projet immobilier. La photo incriminée avait déjà été achetée par ce magazine en 2012 pour une couverture, usage clairement délimité contractuellement. Mais cette ancienne commande a servi de passerelle douteuse pour une réutilisation massive des droits d’auteur, hors cadre, sans autorisation.
Neuf années de procédure
Quatre années de "mise en état" (l'échange des arguments entre parties) plus tard, le tribunal donne raison au photographe : 21 000 € de dommages et intérêts, 3 500 € au titre de l’article 700, et condamnation solidaire des différents protagonistes. Le tribunal reconnaît également le caractère publicitaire de la bâche, l’originalité artistique de la photo, et valide les barèmes de référence.
Mais les 3 protagonistes font appel. Deux années de procédure plus tard, nouveau choc : la Cour d'appel de Bordeaux réduit les indemnités à 6 500 €. Sans justification. Un montant identique à celui proposé par le promoteur six ans plus tôt en amiable…
Stéphane Scotto n’en reste pas là. Il engage Grégory Maître, avocat spécialiste en cassation. C’est reparti pour 2 ans de procédure ! Et finalement en juin 2025, la Cour de Cassation lui donne raison en juin 2025. Elle casse la décision de la Cour d’Appel. Le jugement de première instance est rétabli et devient définitif. En prime : 5 000 € d’indemnités de retard et remboursement intégral des frais d’avocat engagés pour le pourvoi.
Un parcours à ne pas souhaiter, mais à retenir
Neuf ans, 15 000 € de frais, et une énergie folle pour faire respecter un droit fondamental : celui d’être reconnu et rémunéré pour ses droits d’auteur. Une décision qui, espérons-le, aidera d’autres photographes à ne pas baisser les bras.
Stéphane Scotto conclut : "Il ne faut pas s’attaquer à la justice les yeux fermés. Il faut s’y préparer comme à une guerre d’usure. C'est un chemin long, parfois injuste, mais nécessaire si l'on veut être respecté en tant qu’artiste."
Une jurisprudence importante pour les artistes
Dans un monde où il est devenu facile de copier-coller une photo, ce jugement va servir de référence. Au-delà de son cas personnel, cette affaire pose des principes fondamentaux pour les photographes :
- l’originalité d’une photo de paysage, même commune au premier regard, peut être juridiquement reconnue
- les barèmes des organismes d’auteurs sont légitimes
- l’affichage urbain, même sans régie publicitaire, peut constituer une exploitation commerciale
- les majorations pour usage frauduleux, absence de crédit ou recadrage sont applicables
Cette affaire envoie un signal clair aux communicants pressés, aux agences paresseuses, aux clients trop contents d’avoir trouvé une image “gratuite” sur Google : le temps de l’impunité pourrait bien s’effriter. Il deviendra plus facile pour un photographe lésé de produire la “jurisprudence Scotto” pour trouver un accord amiable et rapide.
C’est aussi un appel à la vigilance. Savoir qui a fait les photos, à qui elles appartiennent, devrait être un prérequis dans les appels d’offres et les opérations de communication.
Conclusion : le droit d’auteur, ce n’est pas une option
Dans cette époque saturée d’images, le vol visuel est devenu la norme. L’affaire Scotto remet un peu d’ordre dans le désordre : elle prouve qu’on peut, qu’on doit, faire respecter le droit d’auteur. Même quand on est seul face à un système bien rodé. Même quand les délais s’éternisent. Même quand on vous explique que ce n’est “qu’une photo”.
Ce n’est jamais “qu’une photo”. C’est toujours un travail. Un regard. Une histoire.
Et désormais, c’est une jurisprudence !
Entreprises : 5 réflexes pour éviter un procès photo
- Identifiez l’auteur : une image trouvée sur Internet n’est jamais « libre de droits ».
- Demandez une autorisation écrite : surtout pour un usage commercial.
- Respectez le contrat : durée, support, territoire… rien ne se devine.
- Ajoutez un crédit photo : il est obligatoire en France.
Vérifiez avec un pro : graphiste, agence ou juriste avant diffusion.
Mots-clés :
Articles similaires

L’édito politique du mercredi : Sébastien Lecornu : un grognard à Matignon
La nomination de Sébastien Lecornu est tout sauf une surprise. La passation de pouvoir prévue aujour...

TER : Nouvelle-Aquitaine en croisade contre les tarifs SNCF
TER trop chers : la Nouvelle-Aquitaine mène la fronde contre SNCF Réseau. 4,5 milliards par an en je...

Éric Agostini, une vie au service des vins de Bordeaux
Il n’a jamais taillé la vigne, mais il en a protégé l’âme. Dans les prétoires comme dans les amphith...