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Économie

The Exploration Company : la fusée européenne qui veut décoller depuis Bordeaux

The Exploration Company, fondée par Hélène Huby, incarne le renouveau du spatial européen depuis Mérignac, entre audace et souveraineté.

Par Jacques FROISSANT
Publié il y a 14 oct.
6 min de lecture
The Exploration Company : la fusée européenne qui veut décoller depuis Bordeaux
The Exploration Company Vaisseau Nyx

En quatre ans, la start-up franco-allemande The Exploration Company est passée du PowerPoint à la quasi-orbite. Levées record, classements prestigieux, site industriel à Mérignac : la pépite fondée par Hélène Huby incarne le “New Space” à l’européenne. Mais peut-on vraiment concurrencer SpaceX sans la puissance américaine derrière soi ?

Une start-up née dans le vide laissé par Ariane

En 2021, alors que l’Europe dépend encore largement de SpaceX pour envoyer satellites et matériel vers l’espace, une ingénieure française décide de combler ce vide. Hélène Huby, ex-Airbus et ancienne directrice du programme Orion (capsule de la NASA à participation européenne), fonde à Munich The Exploration Company.

Dès le départ, Hélène Huby et son équipe cherchent à concevoir une capsule spatiale réutilisable, modulaire et abordable. Baptisée Nyx, ce vaisseau est capable de transporter du fret vers l’orbite basse, puis vers la Lune, et un jour des équipages. « L’Europe ne pouvait plus se contenter d’acheter ses billets pour l’espace », confiait-elle récemment.

En deux ans, l’entreprise se déploie entre Munich, Turin et Bordeaux. Elle s’impose comme le fer de lance d’une nouvelle génération d’acteurs spatiaux européens, publics-privés, agiles et affranchis des lourdeurs industrielles d’ArianeGroup.

Bordeaux, le terrain d’envol discret

Plutôt que Paris ou Toulouse, The Exploration Company a choisi Mérignac pour implanter un site industriel majeur.Selon L’Usine Nouvelle, l’entreprise « vient d’acquérir un grand bâtiment à Bordeaux » et prévoit plus de 200 millions d’euros d’investissements en trois ans pour y développer ses activités spatiales.Un choix stratégique : la métropole concentre déjà un écosystème aéronautique de haut niveau (Airbus, Dassault, Sabena Technics, Safran, Ariane Group…) et un solide réseau de compétences en ingénierie.

L’équipe bordelaise regroupe ingénieurs systèmes, spécialistes propulsion et matériaux, souvent issus de ces grands groupes régionaux.Le cluster Aerospace Valley et les écoles (ENSEIRB-MATMECA, ISAE-ENSMA, ENSAM) assurent un flux constant de talents locaux. Pour rappel, Bordeaux est l’une des premières villes de France en nombre d’étudiants.

La filière spatiale pèse déjà plus de 15 000 emplois directs en Nouvelle-Aquitaine, portée notamment par ArianeGroup à Saint-Médard-en-Jalles, où sont testés moteurs et propulseurs. Avec The Exploration Company, le territoire ne se limite plus aux lanceurs. Il s’ouvre désormais à la dimension orbitale, à savoir celle du transport, du ravitaillement et du retour depuis l’espace.

Des levées de fonds à la hauteur des ambitions et une reconnaissance européenne

Fin 2024, The Exploration Company a levé 160 millions d’euros, un record pour une start-up spatiale européenne.Les investisseurs : EQT Ventures, Red River West, Bpifrance (via French Tech Souveraineté) et le fonds allemand DeepTech & Climate. En quatre ans, l’entreprise a ainsi réuni plus de 200 millions d’euros.

Mais un autre signe confirme la trajectoire : TEC a été désignée première entreprise spatiale européenne du classement Sifted 250 (2025) et figure parmi les 100 entreprises technologiques les plus impactantes au monde (Norrsken Impact Index / FT 2025).

Dans AeroMorning, Hélène Huby déclarait : « Nous sommes fiers d’être le premier fabricant et opérateur européen de capsules spatiales à conclure un accord pour des services de fret avec un opérateur de station spatiale privée. »

TEC revendique aujourd’hui 200 millions d’euros levés et près de 800 millions d’euros de contrats signés gage d’un bel avenir. Pendant ce temps, les effectifs explosent : de 10 salariés en 2021 à plus de 150 en 2025, répartis entre Munich, Turin et Mérignac.« Dans le spatial comme dans la tech, celui qui met en orbite d’abord prend tout le marché », résume un investisseur. "First-mover advantage, winner takes all.” comme disent les américains. 

Nyx : la capsule qui veut faire oublier Dragon

Le vaisseau Nyx Earth se veut le pendant européen du Dragon de SpaceX. Capable d’emporter 4 tonnes de fret, de rester six mois en orbite, puis de ramener 2,5 tonnes vers la Terre, il promet un service logistique complet, durable et réutilisable.

Les premiers démonstrateurs ont déjà volé :

  • Bikini (2024), mini-capsule embarquée sur le vol inaugural d’Ariane 6 ;
  • Mission Possible (2025), capsule de 1,6 tonne revenue dans l’atmosphère, bien que la récupération post-amerrissage reste partielle.

Prochaine étape : 2026, avec une mission orbitale complète et récupération contrôlée.Les clients sont déjà là : l’ESA (programme de transport commercial), Vast Space (station Haven 2) et Axiom Space (future station privée).

L’ESA estime que le marché européen du fret spatial pourrait atteindre 2 milliards d’euros d’ici 2030.

La souveraineté spatiale comme moteur politique

Derrière la réussite entrepreneuriale, c’est tout un enjeu géopolitique qui s’affirme. The Exploration Company s’inscrit au cœur de la stratégie de souveraineté technologique européenne.Après les ambitions sur les semi-conducteurs et les batteries, le spatial devient un pilier du “Made in Europe”. L’entreprise bénéficie du double appui de France 2030 et du fonds allemand DeepTech & Climate.

Mais la route reste longue : retards d’Ariane 6, dépendance aux lanceurs américains, cadence de production encore faible, concurrence internationale.

« Une Europe spatiale sans navette, c’est une flotte navale sans bâtiment logistique », glisse un expert de l’ESA. Avec Nyx, l’Europe se dote enfin d’un vaisseau pour naviguer en orbite.

De Bordeaux à la Lune, la promesse européenne

Au-delà de la capsule, The Exploration Company veut bâtir un véritable écosystème spatial européen : architecture ouverte, coopération entre PME, laboratoires et industriels, loin des modèles ultra-intégrés façon SpaceX. D’ici 2030, une version habitée de Nyx est déjà à l’étude, tout comme un module lunaire. Mais avant de viser la Lune, il faudra livrer, réutiliser, fiabiliser — bref, prouver que l’Europe peut enfin faire voler ce qu’elle imagine. Une start-up franco-allemande invente le futur du transport spatial depuis Bordeaux. 

Et si la vraie souveraineté européenne se construisait, discrètement, dans un hangar de Mérignac ?

The Exploration Company, comme Elixir Aircraft, est encore une pépite méconnue de la Région Nouvelle-Aquitaine.


Portrait : Hélène Huby, la stratège de l’espace européen

Ancienne directrice du programme Orion chez Airbus, Hélène Huby fait partie de cette génération d’ingénieurs français passés par les grands programmes spatiaux avant de s’émanciper. En 2021, elle fonde The Exploration Company avec une idée simple : rendre l’espace accessible, durable et souverain pour l’Europe. Diplômée de l’ENS et d’HEC, cette polyglotte franco-allemande manie aussi bien la propulsion que la diplomatie industrielle. À 45 ans, elle incarne une nouvelle figure du leadership spatial : technique, européenne, déterminée… et un brin impatiente.

Nyx de The Exploration Company

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