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Quand commence vraiment le harcèlement à l’école ? Après le suicide d’une élève à Bordeaux, deux mères brisent le silence

À Bordeaux, deux mères brisent le silence après le suicide d’une élève. Harcèlement scolaire : quand l’école préfère encore se taire que protéger.

Par Jacques FROISSANT
Publié il y a 6 nov.
6 min de lecture
Quand commence vraiment le harcèlement à l’école ? Après le suicide d’une élève à Bordeaux, deux mères brisent le silence
Quand commence vraiment le harcèlement à l’école ?

Entre moqueries, isolement et silence institutionnel, la frontière entre “taquineries” et harcèlement est souvent franchie depuis longtemps. Alors que la Journée nationale « Non au harcèlement » se tient ce 6 novembre, à Bordeaux, le récit de deux mères rappellent la fragilité du système face au harcèlement scolaire.


Deux mères, deux parcours.

À Bordeaux, une mère nous racontait déjà en septembre. Celle d’un enfant harcelé, ignoré, laissé seul des années dans une école où l’on préférait parler de “conflit entre élèves” plutôt que de “violence répétée”.
Son témoignage, publié sur AQUI.Media (Harcèlement scolaire à Bordeaux : le récit d’une mère face à l’omerta), résume tout : le déni collectif, les alertes étouffées, l’épuisement des familles. Ce qu’elle décrit n’a rien d’un cas isolé. C’est la mécanique silencieuse du harcèlement scolaire : lente, insidieuse, souvent légitimée par des adultes persuadés que “ça fait partie de la vie”.

Il y a quelques jours un autre drame est révélé. Le 22 octobre 2025, une avocate bordelaise dépose plainte contre X pour harcèlement scolaire, après le suicide de sa fille de 14 ans, élève au collège Cassignol.
Selon nos confrères d’Ici Gironde (France 3 Nouvelle-Aquitaine), la jeune fille aurait été victime de moqueries et d’humiliations répétées. Elle aurait alerté sa famille et son établissement, sans réponse adaptée. Sa mère évoque une « inertie glaçante ».

Deux mères, deux parcours.
Et une même question, douloureuse : à quel moment l’école laisse-t-elle le harcèlement s’installer ?

Où commence le harcèlement ?

Les spécialistes le rappellent : le harcèlement n’est pas un conflit. C’est, selon la définition de l’Académie de Bordeaux, « une violence répétée exercée par un ou plusieurs élèves à l’encontre d’un autre, fondée sur le rejet de la différence ou la stigmatisation ». Sur les réseaux, la frontière devient encore plus floue : un “like”, un message ironique, une capture d’écran partagée — autant de coups symboliques qui, répétés, isolent et blessent. Une moquerie, une rumeur, une exclusion peuvent sembler anodines. Répétées, elles deviennent destructrices.

Dans le cas du collège Cassignol, la mère de la victime a déclaré à France Bleu Gironde : « Ma fille me disait qu’elle n’en pouvait plus, qu’elle ne voulait plus retourner en classe. J’ai frappé à toutes les portes. »
Dans l’autre affaire, celle révélée par AQUI.Media, la mère témoigne d’un déni collectif : « L’école reconnaissait les faits, mais sans jamais agir. On parlait d’incidents, pas de harcèlement. »

Deux histoires différentes, mais un même mécanisme : la minimisation institutionnelle.

Les chiffres qui dérangent

Selon la DEPP, environ 5 % des écoliers, 6 % des collégiens et 4 % des lycéens déclarent être victimes de harcèlement. En Nouvelle-Aquitaine, cela représenterait près de 58 000 élèves victimes.
À l’échelle de l’Académie de Bordeaux, ce fléau est désormais officiellement reconnu comme prioritaire.

D’après les chiffres publiés pour la Journée nationale du 6 novembre 2025 :

  • 100 % des écoles, collèges et lycées publics sont désormais engagés dans le programme national pHARe (“Prévenir et Agir contre le Harcèlement”) ;
  • 1 605 élèves-ambassadeurs (dont 1 105 collégiens et 500 lycéens) participent à la prévention ;
  • 75 % des personnels du premier degré et 30 % du second degré ont été formés, soit 5 041 agents sensibilisés.

Sur le papier, le déploiement semble exemplaire. Mais dans les faits, ces chiffres sonnent parfois comme un trompe-l’œil.

« Les affiches sont là, les numéros verts aussi. Mais quand un enfant rentre en pleurant, tout le monde regarde ailleurs », déplore une mère interrogée par AQUI.Media.

Au Collège Cassignol, malgré des alertes, aucune mesure efficace n’aurait été mise en place avant le drame. L’affaire fait aujourd’hui l’objet d’une enquête judiciaire, tandis que la communauté éducative bordelaise tente de comprendre comment un dispositif présenté comme exemplaire a pu faillir.

L’omerta scolaire, toujours d’actualité

Le cas de cette famille girondine révèle les failles d’un système où la réputation d’un établissement peut peser plus lourd que la protection d’un enfant.
Alertes ignorées, réunions sans suite, communications verrouillées : une “culture du déni” bien connue des associations locales.

“On a peur du mot ‘harcèlement’ comme on avait peur du mot ‘violence’ il y a vingt ans”, confie un enseignant bordelais sous couvert d’anonymat.

Le ministère parle aujourd’hui d’un “enjeu de co-éducation”, d’une responsabilité partagée entre parents et institution. Mais sur le terrain, la culpabilisation des familles reste fréquente : on leur reproche leur sur-réactivité ou leur absence d’autorité, comme si l’école pouvait se dédouaner de tout.

Le harcèlement, un traumatisme social

Le harcèlement scolaire n’est pas une “affaire d’élèves”, mais un enjeu de santé publique. Troubles anxieux, phobie scolaire, idées suicidaires : les pédopsychiatres évoquent désormais un “traumatisme social”, durable et parfois irréversible. Une étude européenne citée par Santé sur le Net montre que le cerveau des victimes développe une hyper-vigilance proche de celle observée chez les soldats atteints de stress post-traumatique.

Les témoins aussi paient le prix du silence : “Voir et se taire, c’est apprendre à détourner le regard. C’est peut-être la pire des leçons”, résume une psychologue scolaire de Mérignac.

Nouvelle-Aquitaine : la mobilisation existe, mais la fracture demeure

L’Académie de Bordeaux revendique “une mobilisation totale”. Mais derrière les indicateurs, les écarts territoriaux restent forts. Dans les zones rurales ou périurbaines, les psychologues scolaires sont rares, les cellules d’écoute sous-dotées et les interventions trop ponctuelles.

Quelques initiatives sortent du lot :

  • à Poitiers, le collège Ronsard expérimente un binôme “pair-aidant/enseignant-référent” ;
  • à Bayonne, des ateliers d’empathie sont animés par des parents d’élèves formés ;
  • à Mérignac, une brigade mobile psychologues-médiateurs traite les signalements urgents de cyber-harcèlement.

Des actions exemplaires, mais isolées. Comme souvent, la réussite dépend de la bonne volonté locale, pas d’une politique uniforme.

La justice en première ligne

La plainte déposée par l’avocate bordelaise pourrait marquer un tournant.
Elle s’appuie sur la loi du 2 mars 2022, qui fait du harcèlement scolaire un délit et permet de poursuivre les responsables — y compris les adultes défaillants. Mais pour de nombreuses familles, la peur reste la leur : celle d’être ignorées, ou d’être à nouveau accusées d’exagérer.

Parler, agir, écouter

La campagne 2025-2026 du ministère affiche un slogan : “Tous différents, jamais indifférents.”
Un message nécessaire, mais encore trop symbolique tant que les témoignages comme celui publié par AQUI.Media continueront d’exister. Le harcèlement ne se combat pas à coups d’affiches ou de hashtags. Il se combat par la crédibilité des réponses. Par la capacité à entendre un parent avant qu’il ne s’effondre, et à protéger un élève avant qu’il ne parte.

“Ma fille n’a pas eu besoin d’un protocole, elle avait besoin qu’on l'a croie”, la mère interrogée par AQUI.Media.


📞 Ressources utiles

  • 3018 : numéro national contre le harcèlement et le cyber-harcèlement.
  • Nonauharcelement.education.gouv.fr : signalement et guides pratiques.
  • Dispositif pHARe : prévention, élèves-ambassadeurs, formation des personnels.
  • Associations régionales : Harcèlement Stop 64, Contact NA (Bordeaux), L’École autrement 17.
JA

Par Jacques FROISSANT

Directeur de la publication

Bordelais, œnologue, tout allait bien… jusqu’à ce que je dérape dans l’entrepreneuriat RH pour les startups. 😉 Auteur et chroniqueur (L’Express, FrenchWeb, France 3 NOA...), je suis aujourd’hui cofondateur et rédacteur en chef d’AQUI.Media

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