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Économie

PLF 2026 : Ci-gît la French Tech et l'ESS...mais aussi l’innovation française

Le PLF 2026 frappe fort : fin du Tremplin French Tech, coupes dans l’apprentissage, budget ESS figé. Startups et économie solidaire paient la rigueur budgétaire d’un État sans cap industriel.

Par la rédaction
Publié il y a 21 oct.
6 min de lecture
PLF 2026 : Ci-gît la French Tech et l'ESS...mais aussi l’innovation française
Ci-gît la French Tech et l'ESS Photo by John Thomas / Unsplash

Le Projet de loi de finances 2026 (PLF 2026), actuellement en débat, prétend « restaurer la crédibilité budgétaire ». En visant un déficit à 4,7 % du PIB, le gouvernement assume un virage "austéritaire". Le problème ? Cette rigueur s’applique sans feuille de route industrielle ni sociale solide — et ce sont les créateurs d’entreprises, les startups, la tech, mais aussi l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) qui trinquent.

Le PLF 2026 : un choc fiscal pour les micro-entreprises

Dès 2026, la fin de la franchise en base de TVA pour de nombreux auto-entrepreneurs (au-dessus de 30 000 € de chiffre d’affaires) pourrait alourdir leur charge administrative et réduire leur compétitivité.

En parallèle, la suppression de l’ACRE (exonération partielle de cotisations pour les créateurs) prive un nombre important de nouveaux entrepreneurs d’un amortisseur essentiel. Ce mécanisme incitatif a favorisé une génération spontanée d'entrepreneurs, moins à risque avec un tel parachute.

"En Nouvelle-Aquitaine, la micro-entreprise représente près de 60 % des créations (source : INSEE). L'impact va y être colossal." selon un investisseur.

Désormais le message est clair : le budget prime sur la création, la prise de risque, l’innovation. À un moment où l’initiative entrepreneuriale, notamment issue du chômage, jouait un rôle essentiel.

Baisse des aides à l’apprentissage : coup dur pour l’emploi

Le PLF 2026 prévoit une baisse d’environ 30 % des aides à l’apprentissage (2,1 Md€ contre 3,1 Md€ en 2025). C’est un coup porté aux filières techniques et, indirectement, à l’entrepreneuriat, puisque la formation en alternance est souvent un tremplin vers la création d’entreprise ou l’embauche. Le secteur de la formation est en émoi depuis quelques mois, à juste titre...
Ajoutons à cela le durcissement de l’assurance-chômage qui achève de réduire les incitations à se lancer. Or un quart des créations d’entreprise en France sont issues de demandeurs d’emploi. En restreignant ces leviers, on freine la dynamique “chômage → création”.

La French Tech en perte de souffle et d’inclusion

L’écosystème Tech pâtit aussi de ces coupes. Après les réductions dans le programme France 2030, on assiste à des retards de paiement et à une raréfaction des appels à projets. Les startups deeptech, qui demandent un soutien public pluriannuel, sont les plus vulnérables.

Le coup le plus symbolique ? La suppression du programme French Tech Tremplin, qui ouvrait la voie à l’inclusion (jeunes des quartiers, réfugiés, étudiants boursiers). Destiné à ouvrir l’innovation à des profils éloignés (jeunes des quartiers, réfugiés, étudiants boursiers), le dispositif disparaît du PLF 2026. Le résultat : la tech devient plus exclusive, et les territoires déjà fragiles, encore plus marginalisés.

Ce retrait met en lumière une faiblesse chronique : l’entre-soi de la French Tech. Trop longtemps centrée sur ses réseaux parisiens, ses levées de fonds spectaculaires et ses figures médiatiques, elle a oublié de construire un lien organique avec la société réelle. Dans l’imaginaire collectif, elle reste un monde à part — celui des licornes, des pitchs et des incubateurs fermés.
En négligeant son ancrage social, la French Tech s’est privée d’un capital politique. Résultat : quand la rigueur budgétaire tombe, elle n’a plus de défenseurs naturels dans l’opinion.

L’ESS à la dérive — et le cri d’alerte de Benoît Hamon

Moins mise en lumière, l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) est pourtant l’un des piliers de l’emploi, de l’innovation sociale et de la transition écologique. Elle représente environ 2,4 millions d’emplois, soit près de 10 % du PIB. Et pourtant, elle voit ses moyens se contracter.

Le budget de la mission « Économie sociale, solidaire et responsable » reste figé à près de 380 millions d’euros — une baisse réelle compte tenu de l’inflation et des coûts en hausse. Les associations, coopératives et entreprises d’insertion sont prises en étau : plus de missions à remplir, moins de moyens.

Dans ce contexte, Benoît Hamon, président d'ESS France, tire la sonnette d’alarme :

« On a un secteur associatif en grave difficulté, avec des conséquences sur ses bénéficiaires. »
Et d’ajouter :
« L’économie sociale et solidaire incarne l’antithèse du capitalisme d’Elon Musk… Ce sont des entreprises qui revendiquent qu’il faut des droits, des règles, des lois qui permettent de préserver la société et l’environnement. »

L’ESS : oubliée des budgets, coupable de discrétion

Hamon rappelle que l’ESS est politique par essence : “c’est l’irruption de la démocratie dans les choix au cœur de l’entreprise”. Il appelle à un véritable gouvernement de l’ESS, une stratégie nationale qui en ferait un pilier à part entière de la politique économique.

Mais ici aussi, l’entre-soi a joué contre le secteur. Trop souvent perçu comme un cercle fermé d’initiés institutionnels — subventionné, peu lisible, éloigné du grand public —, l’ESS a manqué sa révolution culturelle. Ses réseaux historiques (mutuelles, coopératives, associations nationales) peinent à incarner l’innovation sociale contemporaine.
Faute d’une communication claire, d’une ouverture vers les jeunes entrepreneurs et les territoires, l’ESS est restée dans l’ombre d’un capitalisme qu’elle prétendait réinventer. Et dans un contexte budgétaire tendu, ce manque de visibilité se paye cash.

Défaillances record, logique de ruine

Selon Altares, les chiffres sont sans appel : plus de 61 000 défaillances d’entreprises sur les neuf premiers mois de 2025 (+38 % sur un an).

Le phénomène touche particulièrement les secteurs où l’ESS et les micro-entrepreneurs sont massivement présents : commerce, services, artisanat.
Lorsque l’environnement financier se resserre, le crédit se raréfie, les PGE doivent être remboursés, les soutiens publics reculent — la création d’entreprise, cette bouffée d’oxygène que représentait auparavant l’ESS et les micro-structures, se grippe.

Rigueur budgétaire, mais quel cap ?

Le PLF 2026 pourrait être compréhensible s’il s’accompagnait d’un projet industriel, d’une stratégie de transition ou d’un soutien clair à l’innovation et l’inclusion. Or ce n’est pas le cas. D’autres pays — les États-Unis via leur Inflation Reduction Act, l’Allemagne via ses clusters technologiques — investissent. La France, elle, coupe.
Le risque : une fracture entrepreneuriale. D’un côté, les grands groupes — armés pour absorber la rigueur. De l’autre, les indépendants, les startups, les acteurs de l’ESS — étranglés. Ce sont ces derniers qui créent l’emploi, le lien social, l’innovation territoriale.

PLF 2026 : une rigueur qui creuse le déficit d’avenir

Le PLF 2026 est une loi de rigueur qui sacrifie l’initiative. Il creuse peut-être le déficit public, mais il creuse aussi un déficit d’avenir. L’innovation, la solidarité, l’inclusion — autant de moteurs d’une économie durable — ne s’improvisent pas. Ils réclament soutien, vision et moyens.

La French Tech et l’ESS partagent aujourd’hui un même défi : sortir de leur entre-soi, se reconnecter au pays réel, et démontrer qu’elles sont indispensables à la France de demain. Sans cela, elles continueront d’être considérées comme des variables d’ajustement budgétaire, alors qu’elles devraient être les leviers d’un nouveau contrat économique et social.

Sources : Ministère de l’Économie (PLF 2026), Vie-publique.fr, INSEE, ESS France (Baromètre 2025), Altares (Baromètre défaillances T3 2025), Novethic, Carenews, La Tribune, Les Échos, Banque des Territoires.

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