Houle cyclonique : beaucoup de bruit pour rien ?
Depuis quelques jours, la houle cyclonique affole presse et réseaux sociaux avec ses vagues de cinq mètres. Spectaculaire, oui. Inédit, non.
Depuis quelques jours la presse et les réseaux sociaux s’emballent sur le phénomène de houle cyclonique. La façade atlantique a ainsi connu un spectacle aussi fascinant qu’inquiétant : des vagues de près de cinq mètres se sont abattues sur tout le littoral. Les maires ont dû interdire certaines plages, et les sauveteurs multiplier les avertissements. Sur les réseaux sociaux, on a lu tout et n’importe quoi : phénomène inédit”, “preuve supplémentaire du changement climatique”, voire “scénario catastrophe d’un futur réchauffé”.
Alors, la houle cyclonique de cet été est-elle vraiment un signe que l’océan a changé de nature ? Pas exactement. Si l’événement est spectaculaire, il est loin d’être inédit. L’Atlantique nous rappelle juste une vérité que les anciens savent déjà : ces houles d’origine cyclonique font partie du cycle météo normal de la fin d’été.
Houle cyclonique : des vagues nées loin d’ici
Cette houle exceptionnelle a été générée par l’ouragan Erin, alors en pleine dérive au large de l’Atlantique. Ses vents moyens dépassaient les 190 km/h. Rien d’inhabituel pour un cyclone tropical en août, période considérée comme le cœur de la saison cyclonique dans l’Atlantique nord.
La mécanique est simple : un cyclone déplace des masses d’air et d’eau gigantesques. Cette énergie se transforme en houle longue, qui voyage sur des milliers de kilomètres. Même en s’affaiblissant ou en déviant de trajectoire, Erin a envoyé vers nos côtes des vagues puissantes et régulières, avec une période de 17 secondes. Les surfeurs savent que cette donnée est plus importante que la hauteur : plus la période est longue, plus la vague est massive et pleine d’énergie.
“Phénomène atypique” ou rendez-vous annuel ?
Météo-France a qualifié l’épisode “d’atypique pour la saison estivale”. Effectivement ce n’est pas tous les jours que les vacanciers d’août voient débarquer une houle cyclonique sur leur plage. Mais “rare” ne veut pas dire “inédit”.
L’histoire météorologique est riche d’exemples :
- En 2011, l’ouragan Katia, devenu post-tropical, avait déjà envoyé une houle similaire jusqu’aux côtes européennes.
- En 2004, une saison cyclonique hyperactive avait généré plusieurs houles transocéaniques, frappant à la fin de l’été.
- Plus loin encore, les archives météorologiques et maritimes regorgent de traces de houles liées aux cyclones tropicaux, observées en août ou septembre sur le littoral français.
- Le site Lacanausurfinfo.com recense les houles de 18 à 20 secondes à Lacanau Océan dans un tableau récapitulatif. Depuis 2013, elles sont rentrées en 2013, 2014 (20 secondes), 2016, 2017, 2018, 2020 (20 secondes), 2022 et 2023.
La houle ERIN n’est donc pas la première avec 18-20 secondes de période et pas la plus grosse.La mémoire locale en atteste aussi. Les surfeurs de Lacanau ou de Biarritz racontent depuis longtemps les “houles de rentrée”, quand les dépressions et cyclones lointains réveillent l’océan après la torpeur estivale. Comme le résume un habitué : “Dans les années 80 déjà, on attendait le Lacanau Pro sous trois mètres de houle avec 18 secondes de période. Ce n’était pas une surprise, c’était le programme.”
Les nombreuses vidéos de surfeur en profitant à Lacanau, Hossegor, Parlementia ou Belhara démontrent bien que eux n’attendaient que cela. Le nombre de surfeurs pros déjà dans la région pour profiter de septembre le confirme aussi.
Ce que dit la science
Scientifiquement, la houle cyclonique est un phénomène bien connu. Les travaux de l’Ifremer et du SHOM montrent que la façade atlantique française reçoit en moyenne 20 à 30 houles longues par an. La plupart sont générées par les tempêtes nord-atlantiques de l’automne et de l’hiver, mais une part significative provient des cyclones tropicaux qui se forment entre août et octobre.
Dans son dernier rapport, le GIEC rappelle que si le réchauffement climatique tend à renforcer l’intensité des cyclones tropicaux, il n’existe pas de preuve solide d’une augmentation de la fréquence des houles cycloniques sur l’Europe de l’Ouest. Autrement dit, la houle que nous avons vue cet été n’est pas un indicateur isolé du changement climatique. Elle s’inscrit dans une variabilité naturelle documentée depuis longtemps.
L’effet loupe des réseaux sociaux
Si ces houles semblent aujourd’hui plus fréquentes ou plus “hors normes”, c’est aussi une question de perception. Chaque épisode est désormais filmé, partagé, amplifié sur les réseaux. Une vague de 4 mètres au Porge devient “historique” en boucle sur TikTok. L’œil collectif perd la mémoire longue, celle qui rappelait que nos grands-parents voyaient déjà ces scènes. Dans le même genre, vous avez les vagues qui s’éclatent chaque hiver sur les maisons de Saint-Malo.
Ce biais médiatique n’est pas anodin. Il entretient la confusion entre phénomènes météos naturels et impacts réels du changement climatique. Oui, le climat se réchauffe, la montée du niveau de la mer et l’érosion fragilisent nos côtes. Mais non, toutes les houles impressionnantes ne sont pas des anomalies. Certaines sont simplement le rappel que l’Atlantique reste un océan puissant et imprévisible.

Des plages fragilisées
Là où le climat entre en jeu, c’est dans l’élévation du niveau de la mer qui accroît le risque de submersion lors de ces épisodes. L’érosion fragilise les plages et les dunes, qui amortissent moins bien l’énergie des vagues. La densité touristique de l’été rend ces houles plus dangereuses encore : des milliers de vacanciers peu familiers des baïnes et des courants se retrouvent soudain confrontés à une mer déchaînée.
Le risque humain est donc bien réel, mais il tient moins à la “nouveauté” de la houle qu’à la vulnérabilité accrue de nos côtes et de nos usages.
L’océan n’oublie pas
La houle cyclonique de cet été n’a rien d’exceptionnel. C’est le rythme normal des ouragans atlantiques, qui culminent à la fin de l’été. À chaque vague de 5 mètres, on crie à l’inédit, comme si l’océan n’existait que depuis nos réseaux sociaux. Pourtant, ces houles arrivent depuis toujours. Nous les voyons simplement plus vite, plus fort. Elles étaient là hier, elles reviendront demain.
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