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Opinion

Régénération ou déclin : une tension anthropologique

Régénération ou déclin ? Le vrai clivage du XXIᵉ siècle oppose sociétés qui inventent l’avenir à celles qui gèrent leur rétrécissement

Par la rédaction
Publié il y a 19 sept.
3 min de lecture

Depuis plus d’un siècle, la vie politique française a trouvé son rythme dans des oppositions binaires – gauche et droite, progressistes et conservateurs – qui ont longtemps structuré les débats collectifs. Mais ces catégories, forgées dans le contexte industriel et idéologique du XXᵉ siècle, peinent à rendre compte des bouleversements contemporains : dérèglement climatique, transition démographique, révolution numérique, reconfiguration des puissances géopolitiques. Ce ne sont plus seulement des programmes électoraux qui s’affrontent, mais des régimes d’historicité, pour reprendre la formule de l’historien François Hartog :

"différentes manières d’habiter le temps, d’interpréter l’avenir et d’accorder une valeur au passé."

Deux logiques fondamentales

L’histoire universelle révèle une oscillation récurrente entre deux dynamiques profondes que l’on pourrait qualifier, par commodité, de régénératrices et de mortifères.

Les premières se caractérisent par une confiance dans la capacité humaine à produire du savoir, à transformer la nature et à élargir l’horizon des possibles. Elles s’incarnent dans la curiosité de la Renaissance, l’audace du XIXᵉ siècle industriel ou la reconstruction scientifique et sociale d’après-guerre.

Les secondes traduisent une fatigue collective, un repli sur des normes héritées, une gestion prudente de l’existant. La fin de l’Empire romain, marquée par la priorité donnée à la préservation des structures plutôt qu’à leur adaptation, en offre un exemple classique, tout comme certains épisodes de l’entre-deux-guerres où la peur du changement a nourri les fermetures économiques et politiques.

Ces catégories ne désignent aucun camp partisan. Elles renvoient à des attitudes face au temps, à la manière dont une société imagine ou redoute son avenir. Le philosophe Spinoza parlait déjà d’affects de joie ou de tristesse pour décrire les forces qui élargissent ou rétrécissent notre puissance d’agir ; Hannah Arendt évoquait la « natalité » comme capacité de recommencement propre à l’action humaine.

Les enjeux contemporains

Les signaux actuels sont ambivalents. La démographie européenne se contracte, les systèmes sociaux se tendent, l’énergie redevient un facteur stratégique. Mais des innovations émergent : hydrogène naturellement présent dans la croûte terrestre, réacteurs nucléaires de nouvelle génération, géothermie profonde, solaire à haut rendement, recherches sur la fusion. Chacune de ces pistes, encore incertaine, illustre ce que l’historien des techniques Lewis Mumford appelait les « mégatechnics » : des sauts énergétiques capables de redéfinir les conditions matérielles de l’existence.

L’enjeu n’est pas seulement économique. Il touche à la capacité de projection collective : une société qui croit possible l’abondance énergétique et la diffusion des savoirs se dote des ressources psychologiques pour accueillir l’avenir ; une société qui se contente d’administrer la rareté risque d’intérioriser le déclin comme horizon.

Une fracture non partisane

Ce clivage régénération / déclin traverse les partis, les classes sociales et les générations. Il ne se mesure pas à un programme fiscal ou à un positionnement électoral, mais à une orientation fondamentale : confiance dans la puissance d’inventer ou gestion prudente du rétrécissement. La France, forte d’un capital scientifique, d’une tradition d’ingénierie et d’une culture de l’État stratège, possède des atouts pour contribuer à une dynamique régénératrice, au même titre que d’autres nations européennes.

Des routes possibles

L’opposition qui s’esquisse n’est donc pas celle des doctrines politiques classiques, mais celle de deux dispositions face au temps : la régénération, qui parie sur l’inédit, et la mortifère, qui se replie sur l’héritage au risque de l’épuiser. Reconnaître cette tension ne signifie pas choisir un camp, mais prendre acte d’un diagnostic : les sociétés se construisent ou s’étiolent selon la manière dont elles affrontent l’inconnu. La véritable ligne de fracture du XXIᵉ siècle pourrait bien être celle qui sépare les cultures de la régénération de celles de la résignation.

par Aurélien Binet, techno-enthousiaste, humaniste, contemplateur et amoureux de l’action publique

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