IA : votre futur manager ? - Épisode 3 : Cols blancs augmentés : comment l’IA double la productivité des cadres
Cols blancs augmentés : l’IA double la productivité des cadres. Entre accélération, fracture et risque de standardisation, qui en profite vraiment ?

Dix enquêtes pour comprendre la transformation souterraine du monde du travail. Derrière les open spaces, les emplois fragiles, les syndicats perdus et le contrat social en recomposition, Aqui.Media met en lumière l’impact réel de l’IA générative.
Épisode 3 : Cols blancs augmentés : comment l’IA double la productivité des cadres
Lors de notre épisode 2 de la série “IA votre futur manager ?”, nous avons pleuré la disparition des “jobs moyens”. Mais pendant ce temps, une autre catégorie s’installe en haut de la pile : les cols blancs augmentés. Ceux qui ont apprivoisé ChatGPT, Copilot, Mistral, Perplexity ou autre ne sont pas remplacés : ils tournent à double régime.
Une étude économique publiée en septembre 2025 par des chercheurs d’OpenAI, Harvard et Duke (How People Use ChatGPT) donne des chiffres clés : 40 % des usages pros de ChatGPT concernent l’écriture et 56 % des messages liés au travail relèvent de tâches exécutées directement par l’IA. L’accélération n’est pas un ressenti : c’est une réalité mesurable, qui sépare déjà les équipes en deux catégories.
IA et productivité : l’accélération est mesurable
Dans le brouillard de promesses qui entoure l’IA, une réalité se dégage : les cols blancs qui savent l’utiliser produisent plus vite, mieux et en plus grande quantité.
L’étude montre que deux tiers des requêtes d’écriture sont des demandes de reformulation, traduction ou résumé de textes existants. Bref, l’IA excelle dans le fastidieux, le répétitif, ce qui plombe la productivité des cadres.
Selon l’Apec, “plus d’un cadre sur trois dit utiliser des outils d’IA générative dans le cadre professionnel au moins une fois par semaine.” Une adoption fulgurante pour une technologie grand public encore inconnue il y a trois ans.
Ainsi, chez Altaïde, cabinet de recrutement leader du digital, à Paris et Bordeaux les consultants ont énormément gagné en productivité en utilisant l’IA. Création de job description, offres d’emploi, sourcing de candidats, scorecard, compte rendu d’entretien, emails…quasi rien n’y échappe.
Une étude de McKinsey (2025) estime que les cadres utilisant l’IA gagnent 2 à 3 heures par semaine sur des tâches administratives, mais soulève la question : ce temps est-il réinvesti dans des missions à plus forte valeur ajoutée… ou simplement absorbé par une charge de travail accrue ?
L’IA au bureau : qui en profite vraiment ?
Tous les cols blancs ne profitent pas de la même façon de cette accélération. Les chiffres masquent des réalités très différentes selon les fonctions. Prenons quelques exemples parmi les usages IA les plus courants.
- Managers et métiers business : 52 % de leurs usages pros concernent l’écriture. Leur super-pouvoir ? Produire des mails plus clairs, des notes plus percutantes, des présentations finalisées deux fois plus vite. L’arrivée de Microsoft Copilot dans Outlook et PowerPoint accélère encore la tendance : un manager peut résumer une semaine de mails en une page ou générer une trame de présentation en quelques minutes. On parle moins de “rédiger” que de “superviser” la production d’un document. Idem sur de la production d’analyse de gros documents ou le résumé d’un pdf très long, l’IA fait gagner un temps considérable. A condition de garder son esprit critique et d’y amener sa valeur ajoutée derrière.
- Développeurs et métiers techniques : 37 % de leurs usages pros relèvent du debug, de la documentation ou de la génération de snippets. L’IA ne code pas un projet complexe, mais GitHub, Copilot ou Codeium permettent de compléter automatiquement des lignes, d’expliquer un bout de code obscur ou de suggérer des corrections. Résultat : des délais compressés et une productivité qui grimpe sans forcément réduire le besoin de compétences pointues.
- Professions santé, éducation, droit : davantage orientées vers la documentation et l’interprétation de l’information. Un enseignant peut générer un plan de cours, un avocat demander une relecture ou une mise en évidence des clauses atypiques, un médecin obtenir une synthèse d’articles scientifiques récents. Ici, l’IA joue le rôle d’assistant documentaire ou de veille.
Au total, 58 % des usages pros se concentrent sur deux fonctions clés : documenter / interpréter l’information, et résoudre des problèmes / prendre des décisions. Autrement dit, le cœur de tout job de col blanc.
Comme le rappelle l’Apec : “les cadres utilisateurs réguliers mettent en avant un gain de productivité et d’efficacité, le fait d’améliorer la qualité de leur travail, ou encore le fait de trouver de nouvelles idées.” Mais le gain ne se mesure pas seulement en temps : il s’agit aussi d’élargir la palette de ce qu’un cadre peut produire ou analyser seul.
À quoi ressemble une journée de col blanc augmenté à l’IA ?
À Bordeaux, une PME du secteur viticole a déjà franchi le pas. Son directeur administratif raconte : « Depuis que nous utilisons ChatGPT pour le reporting financier, le temps passé a été divisé par deux. Nos comptables peuvent enfin se concentrer sur l’analyse, pas seulement sur la saisie. »
Les scènes se répètent dans bien d’autres métiers :
- Un responsable marketing boucle désormais son reporting en une heure au lieu d’une journée, l’IA se chargeant de structurer les données et de rédiger le résumé.
- Une juriste traduit et annote un contrat de 30 pages en anglais en une heure, quand il lui fallait deux jours auparavant.
- Un consultant d’un grand cabinet conseil condense une veille sectorielle en 30 minutes, contre une demi-journée sans IA.
- Même à l’hôpital, un jeune médecin réanimateur confie : « Un patient en réa, c’est 1 500 constantes par jour. Dix jours, c’est déjà 15 000 lignes. Inexploitable dans un tableau Excel. J’ai dû coder mon propre outil en Python pour en tirer quelque chose. »
Dans tous ces cas, l’humain garde les commandes. L’IA exécute, reformule, clarifie. Résultat : le col blanc devient col blanc augmenté.
IA au travail : qui sont les gagnants, qui sont les perdants ?
- Les gagnants : ceux qui savent utiliser l’IA comme copilote ou assistant. Plus on est diplômé et dans un métier de savoir, plus l’effet d’accélération est fort..
- Les perdants : ceux qui n’ont pas reçu de formation ou qui restent méfiants. Comme le titre Le Monde récemment : “les salariés passent à l’IA, mais manquent de formation.”
Le risque est clair : cols blancs augmentés contre cols blancs dépassés. Une nouvelle fracture interne, après celle qui avait opposé ouvriers qualifiés et non qualifiés à l’ère de l’automatisation.
Former les cols blancs à l’IA : le grand retard
Si l’usage explose, la maîtrise reste fragile. « La plupart des cadres savent demander un résumé ou une traduction, mais peu savent intégrer l’IA dans leur workflow de décision ou d’analyse. Ceux qui se forment sérieusement gagnent un temps fou. Les autres bricolent et risquent de décrocher. » — François-Xavier Bodin, consultant formateur à Bordeaux.
Le problème est clair : on parle beaucoup d’IA, mais on forme peu. Dans les faits, utiliser ChatGPT pour réécrire un mail n’est pas une compétence, c’est un réflexe. Savoir poser la bonne question, vérifier la réponse, croiser les sources, exploiter l’IA dans une stratégie métier — voilà ce qui distingue le col blanc augmenté du simple utilisateur curieux.
Or, le Baromètre France Num 2025 révèle que seulement 20 % des TPE-PME ont suivi une formation numérique en 2025. La grande majorité avance à l’aveugle. Et pour 55 % des dirigeants, le frein principal reste… le manque de temps. Comme si on pouvait “remettre à plus tard” un bouleversement qui redessine déjà la productivité quotidienne.
Résultat : un décalage croissant entre ceux qui investissent dans les compétences et ceux qui bricolent avec des prompts copiés sur LinkedIn ou achetés dans des formations bidons suite à une pub Instagram ou Facebook. La fracture n’est pas seulement technologique : elle est culturelle. Les entreprises qui n’organisent pas la montée en compétence de leurs équipes risquent de se retrouver avec une main-d’œuvre qui clique, mais qui n’exploite pas.
Le fossé TPE/PME : IA pour quelques-uns seulement
Si les grands groupes et les cols blancs urbains s’installent déjà confortablement dans l’IA, les TPE-PME françaises avancent beaucoup plus lentement. Selon le Baromètre France Num 2025, seules 26 % utilisent aujourd’hui des solutions d’IA. C’est deux fois plus qu’en 2024, certes, mais encore très marginal au regard de l’ampleur du phénomène.
Le fossé est énorme selon les secteurs : 56 % d’adoption dans les NTIC, contre à peine 9 % en agriculture. Entre les entreprises connectées et les autres, le décalage se creuse chaque mois un peu plus. Autrement dit, les cols blancs augmentés ne sont pas la norme : ce sont des pionniers. Une avant-garde qui avance vite, tandis que la majorité regarde encore passer le train depuis le quai.
Et ce décalage risque de s’accentuer. Car l’IA n’est plus un gadget pour “geek motivé” : elle s’infiltre partout. Déjà intégrée dans Office 365, Google Workspace, Slack ou Salesforce, elle s’impose au cœur même des outils quotidiens. Autrement dit, même ceux qui ne veulent pas “aller sur ChatGPT” travailleront demain avec de l’IA par défaut.
Dans certaines PME, on se demande encore s’il faut un site web. Pendant ce temps, l’IA se glisse déjà dans chaque logiciel de bureau.
Impact sur la qualité du travail : vitesse contre profondeur
La question de la qualité arrive vite dès qu’on parle d’IA. Un rapport produit en dix minutes est-il aussi solide, aussi nuancé que celui rédigé après une journée de réflexion ? Pas sûr.
Des managers évoquent déjà un appauvrissement du style et une standardisation des livrables. Des documents plus propres, mais interchangeables. Moins de profondeur, plus de conformité. Bref : l’IA accélère la production, mais uniformise les résultats. Et si, au fond, elle rendait fainéant intellectuellement et nivelait par le bas ?
Et l’autre face du numérique n’est pas anodine : 36 % des TPE-PME françaises ont déjà subi un incident de cybersécurité (phishing, malware). Plus d’IA, plus de données, plus de vitesse… mais aussi plus de portes ouvertes aux attaques.
Cols blancs et IA : travailler mieux… ou travailler plus ?
L’IA ne fait pas disparaître les cols blancs, elle fabrique des super-cols blancs : ceux qui produisent deux fois plus vite et qui maîtrisent l’outil. Mais la question reste ouverte : ce temps gagné servira-t-il à alléger le travail… ou à alourdir la pression ?
La vraie bataille n’est peut-être pas entre l’homme et la machine, mais entre deux visions du travail :
- l’IA comme levier de productivité libératrice ;
- ou l’IA comme instrument de rendement sans limite.
Et vous, de quel côté êtes-vous ? Déjà dans le train des cols blancs augmentés, ou encore coincés sur le quai à regarder passer les slides générés en dix minutes ?
À lire aussi – IA : votre futur manager ?
Cette enquête fait partie de notre série “IA : votre futur manager ? – Dix enquêtes sur la révolution silencieuse qui redessine le travail”, publiée par Aqui.Media.
Déjà publié :
- Épisode 1 : Le choc silencieux – L’IA s’installe en douce dans vos open spaces
- Épisode 2 : La fin du job “moyen” ? – Quand l’IA efface les professions intermédiaires
Vous lisez actuellement :
- Épisode 3 : Cols blancs augmentés – Ceux qui domptent l’IA travaillent deux fois plus vite
À venir :
- Épisode 4 : RH et recrutement – CV et lettres passent déjà à la moulinette algorithmique
- Épisode 5 : La guerre des compétences – Ne pas “parler IA” devient un handicap mortel
- Épisode 6 : Syndicats et DRH – Comment négocier avec une boîte noire ?
- Épisode 7 : Créativité vs intox – Génie sous stéroïdes ou fake news industrielles ?
- Épisode 8 : Burn-out de l’humain lent – Survivre au rythme imposé par la machine
- Épisode 9 : Les petites mains de l’IA – Derrière les algos, une armée d’ouvriers précaires
- Épisode 10 : Contrat social 2.0 ? – Taxer, réguler ou partager la valeur de l’IA
Par Jacques FROISSANT
Directeur de la publication
Bordelais, œnologue, tout allait bien… jusqu’à ce que je dérape dans l’entrepreneuriat RH pour les startups. 😉 Auteur et chroniqueur (L’Express, FrenchWeb, France 3 NOA...), je suis aujourd’hui cofondateur et rédacteur en chef d’AQUI.Media
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