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Économie

GSEF 2025 : les enjeux régionaux entre vitrine politique et coupe budgétaire

Le GSEF 2025 à Bordeaux se veut vitrine mondiale de la solidarité. Mais derrière les discours, la Région Nouvelle-Aquitaine coupe dans les budgets : l’ESS, pilier local de l’économie durable, ne reçoit que 0,33 % des crédits régionaux.

Par Jacques FROISSANT
Publié il y a 30 oct.
9 min de lecture
GSEF 2025 : les enjeux régionaux entre vitrine politique et coupe budgétaire

Le GSEF 2025 s’ouvre sur fond de budgets gelés, d’ambitions électorales et de girouette régionale

À Bordeaux, le Forum mondial de l’économie sociale et solidaire (GSEF) s’affiche en grande pompe. Mais derrière la façade d’un événement international consacré à la solidarité, la réalité budgétaire est tout autre : la Région Nouvelle-Aquitaine réduit ses marges, gèle certains fonds et privilégie désormais l’économie « traditionelle ». Pendant que le maire écologiste Pierre Hurmic profite de l’occasion pour polir son image en vue d’une très probable candidature à sa succession, la région se transforme en girouette économique.

Un forum mondial, une vitrine politique

Le GSEF 2025, organisé du 29 au 31 octobre à Bordeaux, réunit 8 000 participants (selon les organisateurs) venus de 70 pays. L'événement dispose d'un budget total de 1,7 million d’euros, financé par la Ville, la Métropole et la Région.
Un rendez-vous planétaire, certes — mais aussi une formidable tribune, que les gourous locaux n'auront évidemment pas manqué de mettre à profit.

Pour Pierre Hurmic, maire de Bordeaux, cet événement tombe à point nommé. À l’approche des municipales, le rendez-vous lui offre une exposition idéale : celle d’un élu “visionnaire” et international, porteur d’un message social et durable, à un moment où la réalité économique bordelaise reste fragile.
Un coup politique bien senti, qui permet de mettre en scène la solidarité sans toucher aux lignes budgétaires. En témoigne sa présence à de nombreuses tables rondes.

Pour autant, la marge laissée aux "contributeurs" pour imaginer eux-même le programme de cet événement s'avère être cette "fausse bonne idée", qui accouche d'un contenu abscons, presque sectaire, rendant la soupe de l'ESS indigeste du commun des mortels, qu'il est pourtant indispensable de convaincre si l'ESS veut dépasser son statut de "bobo mangeur de graines". Les Entreprises Sociales et Solidaires (ESS) méritent un discours simplifié et de la pédagogie pour être audible du grand public.

Nouvelle-Aquitaine : un budget régional sous tension

Le budget primitif 2025 de la Région Nouvelle-Aquitaine s’établit à 3,3 milliards d’euros, en recul par rapport à 2024.
La région accuse une baisse de recettes de 100,5 millions d’euros du fait du projet de loi de finances. Résultat : une épargne brute en chute, une capacité de désendettement portée à plus de 10 ans, et des investissements contraints.

Le CESER s’alarme : « La réduction des financements, particulièrement dans des secteurs comme le tourisme, l’agriculture et l’ESS, pourrait accentuer les disparités territoriales. »

Derrière ces chiffres, des projets concrets sont abandonnés ou reportés :

  • La Foncière solidaire de Bordeaux Métropole, destinée à faciliter l’accès des acteurs de l’ESS à l’immobilier, a été purement et simplement abandonnée en 2025, malgré un engagement initial d’1 million d’euros de la Métropole. «Nous avons dû trouver 100 millions d’euros d’économies en investissement, et cela nécessite des arbitrages douloureux.», justifiait en mars, auprès de la Tribune, Alain Garnier, vice-président de Bordeaux Métropole en charge de l’ESS.
  • Plusieurs dispositifs de soutien aux associations de l’économie circulaire et aux tiers-lieux ou aux outils de financement dédiés ont été gelés ou reportés, faute de crédits disponibles. « On nous demande de briller à l’international avec le GSEF, mais on nous coupe les vivres sur le terrain », résume un acteur local.

En parallèle, la Région affiche de grandes ambitions via sa Stratégie régionale de l’ESS 2025-2028 (SRESS), adoptée en mars dernier. Mais derrière les mots, les moyens restent maigres : 8 millions d’euros par an pour la politique ESS, plus 3 millions via le Fonds européen FSE+. Sur un territoire qui compte 20 650 structures et 256 000 salariés, cela relève plus du symbole que du soutien structurel.

Comparaison : l’ESS face à l’économie “classique”

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Quand on compare les enveloppes dédiées à l’ESS avec celles consacrées à l’économie dite “traditionnelle”, le déséquilibre saute aux yeux.

Poste budgétaire 2025 – Région Nouvelle-AquitaineMontant (en €)Commentaires
Soutien à l’économie sociale et solidaire (ESS)8 M€Politique régionale spécifique (hors FSE+)
Fonds européen FSE+ ESS3 M€Complément européen pour projets ESS
Filière “défense et souveraineté industrielle”≈ 60 M€Soutien à Dassault, Thales, Safran, projets militaires
Reconquête et transformation industrielle12,78 M€Relance des filières classiques, accompagnement des PME
Aides à l’investissement économique (PME-ETI)≈ 45 M€Dispositifs directs et fonds d’intervention
Soutien à la recherche et à l’innovation technologique≈ 72 M€Programme régional FEDER + Région
Transports et infrastructures économiques> 400 M€Dont LGV, mobilités, ports et zones logistiques
Budget total ESS (régional + européen)≈ 11 M€Soit 0,33 % du budget total régional

Autrement dit, la Région investit près de 10 fois plus dans la reconquête industrielle que dans l’ESS, et plus de 35 fois plus dans les infrastructures de transport que dans l’ensemble des acteurs sociaux et solidaires.

Ce déséquilibre illustre une priorité idéologique : l’industrie et les grands projets sont perçus comme les seuls leviers de croissance et de visibilité, tandis que l’ESS, malgré son rôle social et écologique, reste un parent pauvre car elle ne s’inscrit pas dans cette logique de « grandeur » économique et médiatique.

La “girouette économique” régionale : un revirement stratégique

Ce déséquilibre illustre un virage politique assumé.
Hier, la Région se revendiquait laboratoire de l’innovation sociale, soutenant la relance post-Covid à travers des coopératives, structures d’insertion et tiers-lieux.
Aujourd’hui, la boussole s’est inversée : priorité aux filières stratégiques, à la défense et à la compétitivité industrielle. Même la tech est reléguée au second plan, c'est dire.

Pourquoi un tel revirement ?

  • Souveraineté industrielle comme priorité nationale et régionale : Depuis 2022, l’État français a recentré ses financements sur les filières stratégiques (défense, énergie, numérique, aéronautique). La Nouvelle-Aquitaine, région historique de l’aéronautique et de la défense, s’aligne sur cette priorité. « On ne déviera pas de nos engagements en faveur de la réindustrialisation », a répété Alain Rousset.
  • Rendement électoral : Les grands groupes industriels (Dassault, Thales) ont un poids médiatique et économique bien supérieur à celui des coopératives ou des associations. « L’ESS, c’est compliqué à expliquer aux électeurs », confiait un élu régional sous couvert d’anonymat.
  • Logique de communication : Le GSEF 2025, avec ses 1,7 million d’euros de budget, est avant tout une opération d'image pour Pierre Hurmic et la Région. Pourtant, aucun engagement financier nouveau n’a été pris pour soutenir concrètement les 20 650 structures de l’ESS en Nouvelle-Aquitaine. «Les arbitrages sont douloureux : on sacrifie l’ESS pour sauver les apparences », résume un élu local.

Mais attention, cela reste un prétexte commode : Le désengagement de l’État et la complexité des fonds européens servent souvent de paravent pour justifier des coupes qui étaient déjà envisagées.

"C'est un manque de considération d’une économie qui représente pourtant 256 000 emplois en Nouvelle-Aquitaine et qui est présente dans toutes les activités humaines, tout en étant ancrée dans les territoires. Les structures de l'ESS sont pour autant, en première ligne, dans les moments de crises sociales, sanitaires ou économiques, en proposant un autre modèle de société." déclarait déjà en octobre 2024, Stéphane Montuzet, Président de la CRESS Nouvelle Aquitaine.

Ce changement de cap est d’autant plus flagrant que les programmes ESS 2024-2025, notamment ceux de soutien aux associations de l’économie circulaire, ont été gelés ou reportés, faute de crédits d’investissement disponibles.

Bordeaux : une ESS de façade ?

Pendant ce temps, Bordeaux et la Métropole déroulent le tapis rouge.
Conférences, expositions, délégations internationales : tout y est pour faire du GSEF un moment fort.
Mais localement, les structures de l’ESS peinent à survivre, confrontées à une administration régionale paralysée et des financements bloqués.
Le rapport européen sur la gestion des fonds structurels pointe la lourdeur administrative et la complexité des procédures, qui « freinent ou bloquent » la concrétisation de projets territoriaux.

Pour Pierre Hurmic, pourtant porteur de projets innovants en faveur de l’ESS par le passé, l’affaire est tout bénéfice : la ville récolte la lumière, sans avoir à rouvrir les caisses. Le GSEF devient une opération d’image, pas une politique publique.


« Ironie du calendrier : alors que Bordeaux vante le « modèle français » de l’ESS devant 8 000 délégués internationaux, des pays comme le Canada ou la Corée du Sud investissent 10 à 15 fois plus dans leurs structures solidaires. En 2024, la Corée du Sud a dédié 1,5 % de son budget national à l’économie sociale – soit 45 fois la part de la Nouvelle-Aquitaine (0,33 %). »

Des mots, des caméras… mais peu de crédits

Le paradoxe bordelais résume la période : un discours social, des priorités industrielles. Le GSEF 2025 permettra sans doute de belles photos et d’ambitieux communiqués. Mais une fois les caméras éteintes, l’ESS restera une politique mineure — sous-dotée, freinée par la bureaucratie et enfermée dans son entre-soi.

La métropole s’offre une vitrine mondiale, le maire se positionne pour 2026, et la région poursuit son slalom budgétaire. Et les gourous locaux s'en donnent à coeur joie...

« La solidarité mérite mieux que d’être un thème de congrès. Elle mérite un cap politique clair — et des budgets à la hauteur », résume un acteur de l’ESS, rejoint par la CRESS Nouvelle-Aquitaine, qui dénonce « une baisse de 25 % des crédits, une condamnation à mort pour des centaines de structures »

Une région girouette, en somme, qui tourne au vent des modes économiques plutôt que de suivre un cap durable — et qui consacre royalement 0,33% de son budget à l'ESS.


Sources de références :

  • Budget principal 2025 – Région Nouvelle-Aquitaine, rapport de présentation. nouvelle-aquitaine.fr
  • CESER Nouvelle-Aquitaine – Avis sur le budget primitif 2025. ceser-nouvelle-aquitaine.fr
  • RTES – Stratégie régionale de l’ESS 2025-2028. rtes.fr
  • La Tribune / Objectif Aquitaine, “À quoi sert le Forum mondial de l’ESS à Bordeaux ?”, 5 décembre 2024. « La Foncière solidaire de Nouvelle-Aquitaine ne verra jamais le jour », 12 mars 2025
  • Europe-en-Nouvelle-Aquitaine, “Rapport d’évaluation des fonds européens”, 2023.
  • Bordeaux GSEF 2025, site officiel. bordeauxgsef2025.org
  • CRESS Nouvelle-Aquitaine « Projet de loi de finances 2025 : un budget inconscient pour l’ESS », 15 octobre 2024.
  • Région Nouvelle-Aquitaine – Schéma régional de développement économique (SRDEII)
  • AQUI.mediaGironde : le Département sous la surveillance de la Chambre régionale des comptes