a16z frappe fort : 7,5 milliards pour verrouiller l’IA mondiale
a16z muscle son jeu avec un fonds de 7,5 milliards $ centré sur l’IA. Derrière cette levée géante, une course mondiale aux milliards — et des effets bien réels pour notre économie.
Andreessen Horowitz (a16z), l'un des premiers capitaux-risqueurs au monde, annonce un nouveau véhicule géant — et affirme sans détour sa volonté de régner sur l’intelligence artificielle. Une levée record qui ravive le débat sur les survalorisations et le retard européen.
La Silicon Valley reprend les armes
Andreessen Horowitz, alias a16z, vient de lever 7,5 milliards de dollars pour son cinquième fonds Late-Stage Venture (LSV V), destiné à investir dans des entreprises technologiques déjà matures. La moitié de cette somme — environ 51 % — sera allouée à l’intelligence artificielle, entre infrastructures, modèles fondamentaux et applications verticales.
Un pari massif, qui propulse a16z au rang d’acteur systémique du capital-risque global. Fondé en 2009, le fonds affiche désormais 46 milliards de dollars d’actifs sous gestion et un modèle bien rodé : une organisation sectorielle où chaque associé pilote un portefeuille dédié — IA, défense, gaming, santé, crypto. L’objectif : marier expertise industrielle et puissance financière.
Et ce n’est qu’un début : selon Reuters (8 avril 2025) et Financial Times (10 avril 2025), a16z travaille déjà à la création d’un méga-fonds de 20 milliards de dollars, exclusivement consacré à l’intelligence artificielle et à la « deep infrastructure ».
L’IA, nouvelle frontière du capital-risque
Le document confidentiel, auquel Aqui.Media a eu accès, diffusé aux investisseurs partenaires de Global Gate Capital révèle une stratégie claire : a16z cible les sociétés ayant déjà trouvé leur marché et amorcé la phase de scaling. L’ambition est d’obtenir des retours « top quartile » avec un IRR net de 25 % et un multiple de 2,5x.
Surtout, le fonds capitalise sur une conviction : les plus fortes créations de valeur se feront désormais hors des marchés publics. Les géants de demain — OpenAI hier, Scale AI demain — ne seront pas cotés avant d’avoir capté l’essentiel de la valeur privée. a16z veut être l’actionnaire de cette zone grise, là où la croissance est explosive mais le risque encore tangible.
Selon PitchBook Q3 2025, les cinq plus grands fonds mondiaux concentrent désormais près de 60 % des montants investis dans l’IA, accentuant la concentration du pouvoir financier sur le secteur.
Une course mondiale aux milliards
La bataille du capital pour l’IA ressemble de plus en plus à une course à l’armement.
Aux États-Unis, Sequoia Capital gère plus de 15 milliards sur plusieurs véhicules, tandis que Anthropic (soutenue par Amazon et Google) et OpenAI (adossée à Microsoft) ont attiré respectivement 8 et 13 milliards de dollars. Mais ces montants ciblent des champions uniques. a16z, lui, déploie ses milliards sur 20 à 25 entreprises : un portefeuille diversifié à l’échelle planétaire.
En Asie, SoftBank tente de relancer son Vision Fund III (5 milliards), sans retrouver le souffle d’avant-crise.
Sur les 100 plus gros tours de table IA mondiaux en 2024, 87 % ont été menés par des investisseurs américains ou asiatiques (CB Insights 2025).
En Europe, la comparaison pique : Mistral AI, symbole tricolore de l’IA souveraine, a levé 600 millions d’euros à peine. Et le fonds européen pour l’IA de la BEI plafonne à 1 milliard.
Autrement dit, pendant que la Silicon Valley structure un écosystème complet — des serveurs Nvidia jusqu’aux usages santé ou défense —, le Vieux Continent en est encore à bâtir les fondations.
Des milliards, mais pour qui ?
Derrière ces montants spectaculaires, la logique est claire : verrouiller les positions technologiques avant que les marchés publics ne captent la valeur. L'approche de la Silicon Valley, en plus de développer des services IA, est de bâtir les infrastructures de l'IA (serveurs, data centers, énergie...) à la place de l'Etat.
Les startups IA deviennent des actifs géopolitiques, et le capital-risque, un outil d’influence.
“Pour 16 milliards d’euros investis dans l’IA en Europe en 2024, 95 milliards de dollars l’ont été aux États-Unis” (Atomico State of European Tech 2025).
L’écart se creuse à une vitesse historique.
L’autre face du miroir : la bulle des promesses
Derrière l’euphorie, le spectre de la survalorisation hante le marché. Depuis deux ans, les tours de table mirobolants se multiplient sur des sociétés dont les revenus restent embryonnaires. Des licornes comme Hugging Face, Cohere ou Anthropic atteignent des valorisations supérieures à 10 milliards de dollars pour des chiffres d’affaires parfois inférieurs à 100 millions.
a16z, en misant massivement sur l’IA, prend le risque de prolonger la bulle. La croyance selon laquelle « l’IA va tout réinventer » alimente une inflation d’actifs privés, parfois déconnectée des réalités opérationnelles.
En France, le phénomène se répète à plus petite échelle. Mistral, H ou Poolside surfent sur un storytelling de souveraineté technologique, mais sans modèle économique clair. Derrière les tours médiatiques, la question du retour sur capital reste entière.
a16z, l’architecte du capital vertical
Ce qui distingue a16z n’est pas seulement la taille de ses fonds, mais la mécanique de sa stratégie : un système en cascade où les véhicules early-stage détectent les pépites, et où le Late-Stage Venture Fund vient réinvestir quand la conviction est établie.
Ce modèle, baptisé en interne “first money in, conviction money later”, permet à la firme d’exploiter tout le cycle de valeur d’une startup. a16z ne se contente pas d’être un investisseur : c’est un constructeur d’écosystèmes, fournissant mentors, ingénieurs, mise en réseau et lobbying politique. L’ambition est claire : créer des champions technologiques intégrés, de la R&D au déploiement industriel.
Mais cette intégration verticale fait aussi débat : à trop vouloir tout internaliser, le capital-risque se mue en oligopole. a16z devient un marché dans le marché, où le capital circule entre fonds maison, startups partenaires et LPs institutionnels.
L’Europe, spectatrice engagée mais désarmée
La France aime à se rêver championne d’une IA souveraine. Mais les chiffres sont cruels.
L’ensemble du capital-risque français en 2024 représentait environ 15 milliards d’euros, tous secteurs confondus — soit le double à peine du seul fonds d’a16z. Même dopés par Bpifrance ou le Fonds Innovation Défense, les acteurs tricolores manquent de profondeur pour soutenir la course à la donnée et aux infrastructures.
Les études récentes sur le marché de l’emploi en IA montrent que les États-Unis attirent une part croissante des talents européens, séduits par des salaires supérieurs et des écosystèmes d’innovation plus denses (Stanford AI Index 2025, CEPS 2025).
Cette fuite des cerveaux représente une hémorragie de compétences hautement qualifiées, formées aux frais des systèmes éducatifs européens, mais dont la valeur économique profite en grande partie aux entreprises américaines.
Le risque ? Voir l’Europe se cantonner au rôle de marché utilisateur, dépendant des plateformes américaines ou asiatiques pour ses briques fondamentales.
Le capital comme arme géopolitique
La levée du LSV V n’est pas seulement un événement financier : c’est un acte politique.
Andreessen Horowitz affirme que la domination technologique passe désormais par la maîtrise du capital. En injectant 7,5 milliards de dollars dans les futures architectures de l’IA, la firme californienne s’arroge un pouvoir d’influence inédit sur la direction du progrès.
Derrière ces montants abstraits se jouent aussi nos vies économiques très concrètes. Les fonds comme a16z façonnent la carte mondiale de l’innovation : là où ils investissent, les talents affluent, les startups naissent, les salaires montent. Et là où ils n’investissent pas, le risque est l’inverse — écosystèmes fragilisés, fuite des ingénieurs, dépendance technologique.
En Nouvelle-Aquitaine, cela signifie que les entreprises locales du numérique, de la santé ou de l’énergie intelligente devront rivaliser avec des acteurs financés à coups de milliards. Les recrutements seront plus tendus, les valorisations plus volatiles, et la capacité d’attirer des chercheurs en IA ou en data, plus incertaine.
Une annonce faite à Menlo Park aujourd’hui peut redessiner la compétitivité de Bordeaux, Pau ou La Rochelle demain.
Le risque n’est plus seulement financier.
Il est systémique — et territorial.