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Environnement

LGV Bordeaux–Toulouse : l’Autorité environnementale démonte la méthode de la SNCF - Enquête AQUI

Études d’impact périmées, cartographies floues, compensations écologiques bricolées : dans un avis cinglant, l’Autorité environnementale démonte la méthode de la SNCF. Enquête AQUI sur un projet qui roule à contre-sens de la transition.

Par Jacques FROISSANT
Publié il y a 6 oct.
7 min de lecture

14 milliards d’euros, des promesses de gain de temps et de croissance régionale, des élus qui vantent la “grande vitesse” comme une bénédiction pour le Sud-Ouest.Mais à y regarder de plus près, la LGV Bordeaux–Toulouse ressemble de plus en plus à un projet conçu pour le monde d’hier.

Le train de la modernité… sur des rails d’un autre âge ?

Un document interne que nous avons consulté, daté de 2015, et l’avis tout juste rendu de l’Autorité Environnementale (AE), dressent le même constat : données obsolètes, compensations floues, et impacts minimisés

Derrière la communication bien huilée, c’est tout le processus d’évaluation environnementale de la SNCF qui est remis en cause. Les associations luttant contre ce projet, n’en attendaient pas autant. 

Un projet à grande vitesse, des études à petit pas

Le 25 septembre, l’Autorité environnementale (AE) a rendu public un avis délibéré n°2025-098 sur les “travaux préparatoires” de la LGV Bordeaux–Toulouse, partie du Grand Projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO). Un texte sec, mais sans appel :

“Le dossier présenté par SNCF Réseau est incomplet et présente plusieurs lacunes méthodologiques majeures.” (Avis AE n°2025-098, 25 septembre 2025)

L’AE pointe un “manque de précision dans la cartographie des incidences” et “l’absence d’éléments essentiels à la compréhension globale du projet”, comme les raccordements électriques, les sous-stations ou certaines gares. Autrement dit : même avant de construire, la SNCF ne sait pas encore vraiment ce qu’elle construit.

Des “investigations préalables” qui font grincer des dents

Le dossier soumis à l’AE concerne des travaux dits préparatoires : sondages du sol, défrichements ponctuels, diagnostics archéologiques. Mais pour l’Autorité, ce morcellement empêche toute vision d’ensemble :

“Les incidences ne peuvent être correctement appréciées tant que les composantes principales du projet n’ont pas été intégrées à l’étude.”

Les experts demandent donc une mise à jour complète du dossier, y compris sur la cohérence avec les autres tronçons du Grand Projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO).

Des données périmées dans un monde qui a changé

Le plus gênant, c’est que le dossier s’appuie toujours sur les mêmes études d’impact environnemental que celles de 2012 à 2014. L’AE le souligne explicitement : “Les données de référence utilisées dans le dossier datent de plus de dix ans et ne tiennent pas compte des évolutions réglementaires, climatiques et territoriales récentes.”

Depuis, la Gironde a brûlé, la Garonne s’est asséchée, et le Zéro Artificialisation Nette est devenu une obligation légale. Mais la LGV, elle, continue d’avancer avec une boussole d’avant la crise climatique.

La rivière Ciron, symbole d’une colère locale contre la LGV

Dans le Sud-Gironde, la Commission locale de l’eau du Ciron a rendu un avis défavorable cinglant. Ce petit affluent de la Garonne, vital pour les vignes de Sauternes, serait directement menacé par les travaux. 

“Les risques de pollution et de perturbation hydrologique sont majeurs”, écrit la CLE.

Et la SNCF n’a pas de réponse claire. Selon l’AE, “les effets potentiels sur les eaux superficielles et souterraines ne sont pas suffisamment documentés.”

Sur le terrain, les habitants ne croient plus aux promesses : lors de l’enquête publique sur les aménagements au sud de Bordeaux, plus de 90 % des contributions étaient défavorables.

L’écologie compensée sur tableur Excel

Sur le papier, la SNCF promet de “compenser” les atteintes à la biodiversité.Mais l’AE parle d’un dossier “trop qualitatif” et regrette “l’absence d’évaluation brute des incidences”, indispensable pour dimensionner les mesures compensatoires.Autrement dit, on chiffre les compensations sans savoir ce qu’on détruit.

“On compense des chênes centenaires par des semis, et des marais vivants par des bassins artificiels”, ironise un militant de Langon.

Et ce n’est pas nouveau : une note interne SNCF de 2015, que nous avons pu consulter, montre que le franchissement de la Garonne et du Lot était déjà identifié comme “très impactant” sur des zones Natura 2000 et PPRI, jamais réévalué depuis.


🧩 Les chiffres cachés du dossier SNCF (note interne 2015)

1. Des études périmées : les diagnostics environnementaux datent de 2012–2014.

2. Alternatives écartées d’avance : les “scénarios de modernisation” ont été étudiés uniquement pour démontrer leur non-viabilité.

3. Coûts biaisés : la SNCF gonfle les expropriations sur la ligne existante pour rendre la LGV plus “rentable” (+88 M€ sur le poste foncier).

4. Impacts massifs : jusqu’à 700 hectares expropriés et 360 maisons détruites sur le tracé actuel.

5. Zones sensibles ignorées : 8 km en zones inondables, franchissement de sites Natura 2000 et d’APPB.

6. Études acoustiques minimisées : 116 km d’écrans anti-bruit et 500 bâtiments à isoler prévus.

Ces données issues du dossier technique interne (SNCF Réseau, juillet 2015) confirment mot pour mot les critiques de l’Autorité environnementale : le projet GPSO repose sur un socle obsolète et orienté.


Coût pharaonique, bénéfice incertain

14 milliards d’euros pour gagner une heure entre Bordeaux et Toulouse. C’est clairement un pari difficile à défendre à l’heure de la sobriété budgétaire et du déficit public. Le gouvernement (si nous en avons un) pourrait décaler ou redimensionner le projet dès 2026. La mise en service ne serait envisagée que pour 2032. 

Le mirage de la grande vitesse

Derrière les chiffres, c’est une certaine idée de la modernité qui se fissure. Le rêve du “tout TGV”, hérité des années 1990, peine à se réconcilier avec les impératifs écologiques. Pendant qu’on creuse pour la grande vitesse, les TER du quotidien restent bondés, les tarifs grimpent, les gares rurales dépérissent, et les petites lignes attendent leur rénovation.

“On continue de penser les infrastructures comme au siècle dernier”, soupire un élu bordelais. “Mais la vraie modernité, c’est la proximité et la sobriété.”

Le temps du doute, pas celui de la vitesse

L’avis de l’Autorité environnementale n’a pas valeur de veto, mais il fragilise la légitimité d’un projet déjà contesté. SNCF Réseau devra revoir ses études, intégrer les nouvelles normes, et prouver que sa LGV n’est pas une relique d’un autre siècle. Sur le terrain, les recours juridiques se préparent et le dossier pourrait bien finir, comme l’A69, devant le juge administratif.


📎 Documents sources

Parce qu’ici, on préfère les faits aux slogans, Aqui.Media publie les documents dans leur intégralité :


FAQ LGV Bordeaux–Toulouse

Qu’est-ce que la LGV Bordeaux–Toulouse ?

La LGV Bordeaux–Toulouse fait partie du Grand Projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO). Longue de 222 kilomètres, elle vise à relier Toulouse à Paris en un peu plus de 3 heures. Son coût est estimé à 14 milliards d’euros, pour une mise en service annoncée autour de 2032.

Pourquoi l’Autorité environnementale critique le projet ?

Dans son avis du 25 septembre 2025 (n°2025-098), l’Autorité environnementale (AE) estime que le dossier présenté par SNCF Réseau est incomplet : études anciennes, cartographies imprécises et impacts environnementaux mal évalués. L’AE souligne notamment des “lacunes méthodologiques majeures”.

Quelles zones sont concernées par la LGV Bordeaux–Toulouse ?

Le tracé traverse principalement la Gironde, le Lot-et-Garonne, le Tarn-et-Garonne et la Haute-Garonne. Plusieurs secteurs sensibles sont identifiés, dont le bassin du Ciron (Sud-Gironde) et plusieurs zones Natura 2000 ou inondables.

Quelles sont les principales critiques environnementales ?

Les critiques portent sur le vieillissement des études d’impact environnemental (datant de 2012-2014), la compensation écologique jugée insuffisante, et le morcellement du projet qui empêche une vision d’ensemble. L’AE reproche à SNCF Réseau de “ne pas pouvoir mesurer précisément les incidences réelles du chantier”.

Que va-t-il se passer après l’avis de l’Autorité environnementale ?

L’avis n’a pas valeur de veto, mais il oblige SNCF Réseau à revoir ses études avant toute autorisation de travaux. Une nouvelle consultation publique est prévue fin 2025. En parallèle, plusieurs recours juridiques sont déjà envisagés par les associations et collectivités opposées au projet.