L’épargne : entre nécessité et incompréhension
Alors que Patrimonia, le rendez-vous des professionnels de l'épargne ouvre, les français n'ont jamais autant mis d'argent de côté.
Assommant, préoccupant, fastidieux, rébarbatif… les qualificatifs ne manquent pas pour désigner l’épargne. Elle ne fait pas rêver. Dans une soirée, si la conversation dérive vers l’assurance-vie, l’envie de s’éclipser s’imposerait immédiatement. Et pour cause : rares sont les discours enthousiastes et inspirants sur le sujet.
En France, le rapport à l’argent reste marqué par une certaine gêne. Révéler son salaire ? Inimaginable. Évoquer un héritage ? Très mal vu. Même afficher son épargne paraît indécent. Cette pudeur contraste avec une société qui valorise de plus en plus la transparence : salaires des dirigeants, dépenses publiques, pratiques d’entreprises… Pourtant, lorsqu’il s’agit de patrimoine privé, les tabous persistent, sans compter les inégalités sociales ou de genre face à cet enjeu.
L’épargne est vécue comme une obligation silencieuse, souvent mal comprise. Son utilité ? Gagner de l’argent ? Préparer la retraite ? Assurer l’avenir des proches ? La réponse reste confuse. Les conseillers financiers brandissent les mêmes arguments depuis des décennies ; de leur côté, les épargnants hésitent à poser des questions de peur d’être jugés ignorants.
Un système protecteur… mais limité
L’État providence français a longtemps porté une grande partie du poids : santé, éducation, chômage, retraite. D’où un certain désintérêt pour la gestion individuelle de l’argent. Mais les limites apparaissent. Les générations précédentes ont bénéficié d’un système généreux ; celles d’aujourd’hui héritent d’un cadre plus contraint. La collectivité ne peut plus tout assumer.
Cette réalité rend l’épargne indispensable. Elle complète les dispositifs publics et vise à préserver un niveau de confort. La motivation est claire : protéger ses proches, anticiper les aléas, préparer les grandes étapes de la vie.
L’immobilier, champion national
Le logement illustre parfaitement cette logique. L’accession à la propriété est devenue un véritable graal, encouragée par les publicités des années 1980. Résultat : l’immobilier concentre plus de la moitié des 11 000 milliards d’euros d’épargne des ménages français. Une somme colossale qui dépasse plusieurs fois la dette nationale.
Ainsi, qu’on le veuille ou non, tout Français est épargnant. Acheter un appartement, souscrire une assurance-vie, placer de l’argent pour les études des enfants : autant de formes d’épargne intégrées au quotidien, parfois sans en avoir pleinement conscience.
L’épargne subie plutôt que choisie
Le problème n’est pas l’absence d’épargne, mais l’absence de sens derrière l’acte. Les décisions ressemblent souvent à des « non-décisions » : un produit souscrit par habitude, un placement recommandé par les parents, une solution fiscale adoptée par réflexe. On épargne « comme tout le monde », parfois par peur, rarement par projet.
Cette confusion profite aux intermédiaires. Le marché de l’épargne est saturé de produits complexes, hérités d’un autre temps, truffés de frais et de commissions. Chaque année, 10 milliards d’euros sont prélevés en frais de courtage sur l’épargne française. L’équivalent du budget du ministère de la Justice, ou presque le chiffre d’affaires annuel de Vinci Autoroutes.
Comprendre plutôt qu’être éduqué
Les appels à « éduquer les Français à l’épargne » reviennent sans cesse. Mais le vrai enjeu n’est pas l’éducation académique, c’est la compréhension. Personne n’exige de connaître le fonctionnement interne d’un moteur pour conduire sa voiture. En revanche, chacun doit comprendre les grandes lignes : comment l’utiliser, quels signaux surveiller, comment réagir en cas de problème. L’épargne devrait suivre la même logique.
L’infantilisation actuelle entretient la dépendance aux produits standardisés et mal adaptés. Les épargnants se retrouvent liés à des contrats peu utiles, difficiles à rompre, et réduisent l’épargne à un simple outil de défiscalisation.
La consommation… appliquée à la finance
L’épargne devrait être considérée comme un produit de consommation courante. En 2024, on recensait 55 millions de contrats d’assurance-vie, soit quasiment deux produits d’épargne par adulte français, pour près de 2000 milliards d'euros. Et pourtant, le secteur reste opaque, enfermé dans son jargon technique et ses contraintes fiscales.
L’analogie avec les supermarchés est éclairante. Lorsqu’un consommateur choisit les croquettes de son chat, il connaît ses préférences : bio ou non, avec ou sans morceaux. Pourquoi l’épargnant n’aurait-il pas la même clarté de choix ? Faute de lisibilité, il agit à tâtons et finit par subir son épargne plutôt que la diriger.
La responsabilité des professionnels
Les régulateurs – AMF et ACPR – protègent contre les abus les plus graves. Mais leur rôle reste défensif. Les conseillers financiers, eux, devraient construire des offres adaptées. Dans les faits, la plupart se contentent de vendre des produits qu’ils comprennent parfois à peine.
Le modèle économique repose sur les frais : gestion, arbitrage, primes de volume. Les courtiers se partagent chaque année une manne de plusieurs milliards. Les documents contractuels, illisibles, entretiennent l’opacité. Résultat : les épargnants paient sans savoir réellement pourquoi.
Or, le véritable service attendu n’est pas la vente de produits mais le conseil. Comme pour les avocats ou les notaires, rémunérer une prestation de conseil paraît légitime. Ce qui ne l’est pas, ce sont les frais cachés et les commissions automatiques. Et les régulations en place pour rendre cela simple et lisible n'y changent rien.
Vers une nouvelle finance
Le monde financier évolue : banques en ligne sans guichets, cartes de paiement dématérialisées, nouveaux modes de financement collaboratif. Mais l’épargne reste à la traîne. Elle continue d’être traitée comme un produit rigide, peu adapté aux usages modernes.
Pourtant, la technologie pourrait révolutionner le secteur. En améliorant la transparence et la personnalisation, elle permettrait de réduire les coûts et de rendre l’épargne plus accessible. L’objectif : diviser par deux ou trois les frais prélevés aujourd’hui et replacer l’intérêt du consommateur au centre.
Identifions-nous
L’épargne française est paradoxale. Massivement pratiquée, elle reste mal comprise et souvent subie. Les épargnants, pourtant nombreux et puissants collectivement, manquent de visibilité sur leurs propres choix. Le système actuel profite surtout aux intermédiaires, qui captent des milliards en commissions.
Repenser l’épargne ne signifie pas éduquer longuement les ménages à la finance. Cela signifie leur donner des clés de compréhension simples, leur permettre de comparer, de choisir et de décider en connaissance de cause.
L’épargne doit devenir ce qu’elle n’a jamais vraiment été : un outil au service des projets de vie, lisible, transparent, et libéré des frais injustifiés. Accessible à tous, compréhensible par chacun, tournée vers les besoins réels plutôt que vers les intérêts des intermédiaires.
Rien de mieux, donc que de vous parler de son utilité. C'est l'objet de cette rubrique.