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Environnement

Bassin d’Arcachon : pollution chimique, huîtres en danger ?

Le Bassin d’Arcachon cache une pollution chimique invisible : herbicides, médicaments, plastifiants… Les huîtres en paient le prix. Découvrez l’enquête exclusive d’AQUI.Media sur les risques pour l’écosystème et l’économie locale

Par Jacques FROISSANT
Publié il y a 3 nov.
6 min de lecture
Bassin d’Arcachon : pollution chimique, huîtres en danger ?

Herbicides, paracétamol, antibiotiques… l’eau paraît claire, mais elle trimballe plus de molécules qu’un labo de pharmacie. Derrière la carte postale, la pollution du Bassin d’Arcachon concentre les contradictions d’un littoral français en surchauffe : agriculture intensive, ruissellements urbains, rejets portuaires et tourisme de masse. Les sédiments, eux, enregistrent tout. Et selon les chercheurs de l’Ifremer et du laboratoire bordelais EPOC, ils commencent à saturer. Et les huîtres, ces machines à filtrer l’eau, en font les frais !

Sous la surface, une chimie persistante

Le rapport Emergent’Sea (Ifremer, CNRS, Université de Bordeaux) recensent plus d’une cinquantaine de substances chimiques : herbicides, fongicides, biocides de peintures marines, résidus de médicaments, filtres UV, plastifiants. Des traces infimes, sous les normes, mais omniprésentes.

Le Bassin d’Arcachon en est une démonstration grandeur nature : un piège où tout s’accumule. Les apports de la Leyre au sud, les rejets agricoles du maïs et de la vigne autour du Bassin, les ruissellements urbains accélérés par l’artificialisation des sols : tout finit dans la vase.

“Le Bassin reçoit les polluants de tout son bassin versant. On en retrouve jusque dans les sédiments profonds, preuve d’une contamination ancienne et continue”, résume un chercheur du laboratoire EPOC (Université de Bordeaux / CNRS).

Les huîtres en première ligne

Chaque huître filtre jusqu’à 200 litres d’eau par jour. Autant dire que les coquillages inhalent ce cocktail permanent. Les chercheurs y ont retrouvé des traces de pesticides, d’antifoulings et de médicaments : des quantités minuscules, mais persistantes.

“Les concentrations relevées dans les coquillages ne menacent pas la santé des consommateurs — on parle de millionièmes de gramme par kilo. Mais ces traces s’accumulent dans la chaîne alimentaire marine, perturbent les larves, et témoignent d’une pollution chimique devenue systémique.” — Ifremer, Emergent’Sea 2025

Une pollution du Bassin d'Arcachon invisible, mais bien réelle, qui inquiète la profession ostréicole.

“Le vrai risque, c’est de perdre la production”, alerte Jean-Jacques Lestrade, président du Comité régional conchylicole Arcachon-Aquitaine. “Ce n’est pas une crise sanitaire, c’est une perte de vitalité. Une huître qui filtre de l’eau chargée s’épuise plus vite.”

Baisse de productivité, mortalités larvaires, incertitudes sur la qualité de l’eau : les signes de fragilité s’additionnent. Et au-delà du risque écologique, c’est toute une économie côtière, 260 entreprises, 5 000 emplois directs et indirects, qui vacille.

Un Bassin sous la pression chimique

Le Parc naturel marin du Bassin d’Arcachon le constate : les zones les plus contaminées sont souvent les plus transformées : ports ostréicoles, chenaux, zones de mouillage, ou secteurs d’apports agricoles. Les eaux pluviales, mal (ou pas) filtrées, charrient détergents, hydrocarbures, microplastiques. Et les stations d’épuration, conçues il y a plusieurs décennies pour une population deux fois moins nombreuse, ne traitent pas les résidus pharmaceutiques ni les cosmétiques.

Le Wharf de la Salie, à La Teste-de-Buch, reste un point noir historique. Malgré les progrès, il rejette toujours en mer des volumes considérables d’eaux usées traitées mais non épurées des polluants émergents. Une aberration pour un territoire qui se vend comme “naturel”.

“Le Bassin est devenu un miroir national. Ce que nous observons ici, c’est ce qui se passe sur tout le littoral français, mais en plus concentré”, estime un chercheur du CNRS.

Le risque de l’effet cocktail

C’est le nouveau mot-clé des scientifiques. Les molécules isolées paraissent inoffensives, mais ensemble, elles produisent des effets complexes : perturbations hormonales chez les poissons, anomalies de croissance dans les herbiers, affaiblissement des larves d’huîtres.

L’Ifremer le répète : “Ce n’est pas une pollution spectaculaire, mais une contamination diffuse, chronique, et cumulative.”

Une pollution qui n’entre dans aucun classement officiel, ni ceux de l’ARS, ni ceux du fameux label Pavillon Bleu. Voir l’article sur la manipulation des classements des eaux de baignade.Sur le papier, et dans les communications des offices du Tourisme, tout va bien. Dans la vase, c’est une autre histoire.

Bassin d’Arcachon : une image “nature” qui s’effrite

L’ironie du Bassin, c’est que son succès touristique repose sur une image d’écosystème préservé. “Authentique”, “naturel”, “pur” : les slogans ne manquent pas. Le SIBA et TVBA sont très imaginatifs pour cela, beaucoup moins quand il s’agit de parler et d’agir sur la pollution (aucune mention de ce rapport sur le site du SIBA). Que restera-t-il de cette image si les eaux deviennent un cocktail chimique invisible ?

Les acteurs du territoire commencent à s’en inquiéter. Les ostréiculteurs, déjà ébranlés par les crises sanitaires successives, redoutent qu’une “pollution discrète” mine la confiance du public. Les associations environnementales pointent, elles, le manque de transparence.

“Le Bassin se raconte comme un havre de nature, mais personne ne publie les données complètes sur la qualité des eaux”, dénonce un militant local.

Et pendant que les offices du tourisme vantent la qualité des eaux, les scientifiques observent des fonds gris, saturés de traces humaines.

Des solutions, mais pas de plan

Le Bassin n’est pas condamné, mais il a besoin d’un cap politique commun à l’ensemble du Bassin. Les chercheurs pointent plusieurs leviers :

  • moderniser les stations d’épuration avec des traitements tertiaires,
  • limiter les rejets agricoles dans la Leyre,
  • créer des zones tampons naturelles pour filtrer les ruissellements,
  • et limiter l’artificialisation des sols.

Mais faute de stratégie commune de l’ensemble des élus du Bassin, ces actions avancent au coup par coup. Et chaque épisode de pluie ramène un peu plus de ce que la précédente avait déposé.

Le Bassin, la France chimique en miniature

Arcachon n’est pas un cas isolé, c’est le concentré du modèle français : un littoral surexploité, des politiques de l’eau dépassées, et une écologie de façade. Le Bassin continue de briller sous le soleil, mais ses fonds racontent une autre histoire.

“La mer n’est plus bleue, elle est chimique”, écrivions-nous dans notre précédente enquête sur la pollution du littoral atlantique. Arcachon en est la preuve par l’eau.


📌 L’économie ostréicole du Bassin en chiffres

L’ostréiculture n’est pas qu’un symbole du Bassin d’Arcachon : c’est un pilier économique local. Selon les données croisées du Comité régional conchylicole Arcachon-Aquitaine (CRC), de la Chambre d’Agriculture de la Gironde et du Parc naturel marin, la filière représente :

  • 260 entreprises ostréicoles actives, réparties sur l’ensemble du pourtour du Bassin (Gujan-Mestras, Andernos, Lège-Cap Ferret, La Teste-de-Buch).
  • 5 000 emplois directs et indirects, en incluant les activités connexes : transport, logistique, maintenance, restauration et tourisme.
  • 10 000 tonnes d’huîtres commercialisées chaque année, soit près de 10 % de la production française.

Une économie de proximité entièrement dépendante de la qualité des eaux et de la santé du milieu marin.

(Sources : CRC Arcachon-Aquitaine, Chambre d’Agriculture 33, Parc naturel marin du Bassin d’Arcachon – Rapports 2023–2024)


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